Achille, 3 ans et des poussières, est l’heureux propriétaire d’un ankylosaure rouge dont il se sépare le plus rarement possible ; il l’accompagne à la plage, dans son bain, à table… Achille possède pourtant une horde de dinosaures variés et en constante augmentation mais son préféré, ce n’est ni le T. rex, ni le Diplo, c’est l’ankylosaure rouge. Des paléontologues viennent de lui donner raison, ou du moins de conforter scientifiquement cet attachement apparemment irrationnel : l’ankylosaure d’Achille, quoique manufacturé en Chine avant cette nouvelle découverte, pourrait bien avoir été dans les tons rouges.
C’est un fossile découvert dans une exploitation de schistes bitumineux en Alberta (Canada) qui nous permet de nous pencher pour la seconde fois sur la couleur d’un dinosaure sans plume (la première fois, il s’agissait d’un psittacosaure chinois). Ce fossile d’ankylosaure du Crétacé inférieur est, il est vrai, remarquable : préservé dans un nodule ferreux, il montre la peau de l’animal, couverte d’ostéodermes dont le revêtement corné existe encore, et d’écailles entre les ostéodermes. Les chercheurs ont prélevé des fragments de cette peau (conservée sous la forme d’un film organique noirâtre) à la recherche d’éléments permettant de découvrir sa couleur originelle. Dans leur viseur les mélanosomes, ces organites dont on a souvent causé (ici par exemple) qui ont permis de restituer la couleur des plumes de plusieurs dinosaures chinois depuis 2010. Hélas, point de mélanosomes dans la peau de Borealopelta (le doux nom de cet ankylosaure)… Qu’à cela ne tienne, la spectroscopie aux rayons X a permis de mettre en évidence des traces de benzothiazole. Comme nul ne l’ignore, et comme Wikipedia est là pour nous le rappeler, « le benzothiazole est un composé hétérocyclique aromatique de formule chimique C7H5NS. Il est constitué d’un cycle thiazole fusionné avec un noyau benzène. Les 9 atomes des deux cycles sont coplanaires entre eux et avec leurs substituants éventuels, qui forment une classe de dérivés appelés benzothiazoles. » Voilà voilà.
Ca nous ferait une belle jambe si nos collègues ne précisaient pas que le benzothiazole est un composant de la phaeomélanine, celle qui donne aux plumes une belle couleur rouge ou brun-rouge. Ce composé chimique serait donc issu de la dégradation de la phaeomélanine originelle dont la peau de Borealopelta était farcie. Ipso facto, cette peau devait être rougeâtre, comme celle de l’ankylosaure d’Achille.
Non contents de cette annonce qui nous en bouche un coin, il faut bien l’avouer, les auteurs reviennent sur une autre caractéristique assez extraordinaire de leur fossile : la corne préservée sur les ostéodermes. Elle constitue de véritables fourreaux de kératine autour des ostéodermes en forme de pique, allongeant significativement leur longueur (on rappelle que d’ordinaire on ne retrouve que l’os fossilisé, et pas son revêtement de corne).
En passant, on s’aperçoit aussi que le ventre de Borealopelta était plus clair que son dos (comme chez Psittacosaurus), ce qui constitue une forme de camouflage pour embêter les prédateurs visuels. Les mammifères actuels de masse équivalente comme les rhinocéros s’en dispensent, étant théoriquement dépourvus de prédateurs (à l’exception de primates décervelés convaincus que leur corne finement moulue leur rendra une virilité incertaine), mais du temps de Borealopelta peser une tonne et plus et être caparaçonné d’os n’était probablement pas suffisant pour intimider des théropodes à la recherche de leur goûter.
Encore une nouvelle : les épines parascapulaires (des ostéodermes allongés en forme de cône plus ou moins aplatis)étaient certainement plus claires que le reste du corps et pourraient avoir joué un rôle de reconnaissance, voire de séduction entre individus de la même espèce supputent encore nos savants collègues. « Et mes épines parascapulaires, elles sont belles mes épines parascapulaires ? » Faut-il le préciser ? Les nodosauridés, cette famille d’ankylosaures dépourvus de massue au bout de leur queue (à la différence de leurs cousins ankylosauridés) arboraient des épines parascapulaires au niveau de leurs épaules.
Alors un dinosaure présentant une conservation aussi exceptionnelle ne se trouve pas tous les jours. Ca peut néanmoins arriver et la couleur de nos animaux préférés est de moins en moins un insondable mystère. Notons cependant que la plupart des bestioles dont la couleur a pu être retrouvée ces dernières années oscillent entre le noir et le brun rouge vu qu’il y a plein de phaeomélanine partout. Ce qui est un peu tristounet, ou du moins monocolore, avouons-le. Mais la couleur de la peau d’un animal n’est pas seulement une affaire de mélanine et de mélanosomes ; d’autres paramètres rentrent en compte, qui peuvent être identifiés sur des fossiles comme l’ont démontré l’an dernier d’autres paléontologues qui ont restitué la couleur de la peau d’un serpent fossile du Miocène d’Espagne en isolant des cellules pigmentaires (iridophores, xantophores, etc.) ; le serpent était vert. Une telle prouesse nous rend confiants, d’autres couleurs devraient un jour venir égayer le monde des dinosaures. En attendant, exigez des ankylosaures rouges chez vos marchands de jouets.
Références :
Brown, C. M., Henderson, D. M., Vinther, J., Fletcher, I., Sistiaga, A., Herrera, J., & Summons, R. E. 2017. An Exceptionally Preserved Three-Dimensional Armored Dinosaur Reveals Insights into Coloration and Cretaceous Predator-Prey Dynamics. Current Biology, 27(16), 2514-2521.
McNamara, Maria E., et al. 2016. « Reconstructing carotenoid-based and structural coloration in fossil skin. » Current Biology 26.8: 1075-1082.
Publié dans : Amérique du Nord,Ankylosaure,Nouveautés
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Je suis toujours vos articles. Bien que n’y comprenant pas grand chose, j’en appécie le style plein d’humour. Jai connu votre musé dans ce charmant villaf ge d’Espranza il y a quelqes diza.
Bonjour.J’apprécie toujours votre site hyper-spécialisé en souvenir de la découverte d’Esperanza, le bled aux trois musées, il y a des dizaines d’années. Proficiat!
Ce fossile momifié est vraiment stupéfiant, magnifique découverte…
Merci pour les articles et leurs tons vivifiants.