Rien ne va plus chez les dinosaures ! Voilà que T. rex devient le cousin germain du Tricératops. Quel est le complot à l’origine de cette saga familiale ?
La paléontologie est une science historique car la vie sur Terre est une série d’évènements uniques et non reproductibles : l’histoire du vivant s’est déroulée de la manière qu’on sait, mais il aurait très bien pu en être autrement. L’évolution aurait pu aboutir, pourquoi pas, à Danonino ou à Casimir. Pourtant, si l’évolution n’a pas eu le bon goût de suivre des chemins que notre intelligence peut anticiper (certains paléontologues, tels Teilhard de Chardin ou Jean Chaline, ont pourtant pensé pouvoir le faire), nous avons les outils qui permettent de reconstruire, à posteriori, de manière rigoureuse et reproductible les parcours qu’elle a empruntés. Parmi ces outils est la cladistique. Cette méthode, comme le présente Jean Le Loeuff ici, consiste à regrouper les organismes selon les caractères dérivés qu’ils partagent. C’est cette méthode simple et précise qui est à l’origine de la récente révolution familiale chez les dinosaures.
Le hic, quand on étudie l’origine d’un groupe biologique diversifié, c’est qu’il se passe beaucoup de choses au début de l’histoire. L’écheveau des fils de l’évolution est alors difficile à démêler. C’est le cas lorsqu’on examine l’explosion cambrienne il y a plus de 500 millions d’années. Comme le raconte Stephen J. Gould dans son livre La vie est belle , on trouve dans les gisements de cette époque de nombreux organismes étranges qui seraient tous, aujourd’hui, inclus dans des phyla distinct. Mais pourtant ils faisaient partie de la diversité « normale » de l’époque. C’est aussi le cas, à une autre échelle, de la diversification des dinosaures au Trias supérieur qui fait l’objet de l’article de Baron et al. (2017) dans Nature, de l’article de Jean Le Loeuff dans le Dinoblog et du présent billet. Enfin, c’est encore le cas lors de l’apparition des grands groupes de poissons que sont les élopomorphes, les ostéoglossomorphes et des clupéocéphales au milieu du Mésozoïque, un évènement qui a fait l’objet de pas grand-chose car tout le monde, ou presque, s’en f… (même mon correcteur orthographique ne reconnaît pas ces noms de taxons).
Existe-t-il quelque chose de propre aux brusques épisodes de diversifications qui rendrait la méthode cladistique peu efficace pour détecter les liens de parentés ? Le problème est surtout que les évènements défilent rapidement et que le hasard, ou la contingence, distribue des destins brillants à quelques-uns et en abandonne beaucoup. Autrement dit, il existe alors plein de bestioles qui se ressemblent et se diversifient rapidement, mais trouver là-dedans celles dont les lignées perdureront, c’est une autre affaire! Imaginons un paléontologue cladiste qui travaillerait au début du Jurassique. Il regrouperait certainement les dinosaures Pulanesaura, Pantydraco, Panguraptor, Zupaysaurus et Pisanosaurus dans un même clade. Mais il n’aurait jamais pu imaginer que les deux premiers se retrouveraient, un jour lointain, à la base du grand clade des sauropodes, les deux suivants à la base du non moins grand clade des théropodes et le dernier à la base du clade des ornithischiens. Bref, ces animaux qui, au Trias supérieur et au Jurassique inférieur, se ressemblaient beaucoup ne ressemblaient pas du tout, par contre, à leurs futurs et fiers descendants. Les caractéristiques morphologiques de ces dinosaures contiennent déjà les informations qui font que les deux premiers sont regroupés dans un premier clade (les saurischiens) et les trois autres sont regroupés dans un second clade (les nouveaux ornithoscélidiens). Mais, pour notre paléontologue triasique, ces caractéristiques auraient été difficiles à déceler parmi tous les autres traits de ces animaux.
C’est un peu ce qu’ont fait Baron et al. ; ils se sont mis dans la peau de paléontologues du Trias. Plutôt que de s’intéresser aux grandes cornes du tricératops ou aux petits bras du T. rex, tous deux de la fin du Crétacé, ils ont examiné les caractères des espèces formant la base buissonnante de l’arbre évolutif des dinosaures au Trias supérieur et au Jurassique inférieur. Pour continuer dans l’analogie végétale, ils ont étudié la croissance d’un énorme chêne en tronçonnant les grandes branches à quelques centimètres de leur base pour mieux reconstituer la structure de l’arbre lorsqu’il était tout petit. Mais le jeune chêne était alors tout buissonnant et reconstituer l’arrangement des branches qui ont subsisté parmi toutes celles qui sont tombées n’est pas chose aisée.
Cette approche fait la force de l’étude de Baron et al. et c’est probablement elle qui est à l’origine de leur étonnant résultat. Mais cette approche est aussi fragile car il suffit probablement de quelques changements dans la distribution des caractères codés par ces chercheurs pour provoquer des bouleversements dans l’arrangement initial des branches. Les auteurs de l’article sont conscients de cette faiblesse puisqu’ils mesurent, comme il se doit, la robustesse de leur arbre et calculent la force qui soutient les nœuds réunissant les branches. Et le nœud qui porte les ornithoscélidiens paraît plutôt solide. Mais il n’empêche qu’au vu du nombre très élevé de points d’interrogation contenus dans leur matrice de caractères, il suffirait de peu de changement pour que la structure générale de l’arbre, sa topologie, soit bouleversée. Peut-être que ce résultat tiendra le choc des futures analyses ou peut-être qu’il sera remplacé par une nouvelle topologie : c’est comme ça que fonctionne la science et c’est très bien !
Pour finir, que font l’hirondelle et sa contingence dans cette histoire ? Si notre paléontologue du Trias s’était déplacé à la fin du Crétacé, il n’aurait eu aucune raison de distinguer parmi les animaux qui l’entouraient les oiseaux des autres théropodes : tous feraient partie d’un même clade. La seule chose qui les distinguera, quelques millions d’années plus tard, est le fait que seuls certains de ces animaux survécurent à la catastrophe de la fin du Crétacé. Ce sont ceux qu’on appellera « oiseaux ». Mais ça, notre paléontologue crétacé, il ne le sait pas. Si l’hirondelle est un oiseau et le tyrannosaure un dinosaure, la faute en revient donc à une météorite. Ce que je veux dire par là, c’est que sous l’apparence très régulière des cladogrammes se cachent des arbres évolutifs inscrits dans le temps, asymétriques et biscornus, composés à la fois de branches touffues et de rameaux rachitiques, et que vient régulièrement taillader le sécateur tenu de main ferme par le Grand Aléatoire.
Référence :
Matthew G. Baron, David B. Norman & Paul M. Barrett. 2017. A new hypothesis of dinosaur relationships and early dinosaur evolution. Nature 543: 501–506. doi:10.1038/nature21700
Publié dans : Evolution,Nouveautés,Ornithischien,Saurischiens
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