Nos gazettes scientifiques nous ont raconté ces derniers temps comment une équipe internationale de préhistoriens, dirigée par le français Jean-Jacques Hublin, a établi l’origine néandertalienne de restes de parures exhumés voici plus d’un demi-siècle. Ces objets décoratifs comprenant des dents et des morceaux d’os percés furent découverts par le grand préhistorien français André Leroi-Gourhan (1911-1986) lors de ses fouilles d’après-guerre dans une des grottes d’Arcy-sur-Cure, dans l’Yonne. La Grotte du Renne a été habitée successivement par l’Homme de Neandertal et l’homme moderne et les parures ayant été découvertes dans des niveaux du Châtelperronien (entre 44000 et 40000 ans), au moment où coexistaient ces deux humanités, un doute subsistait sur leur auteur : Neandertal ou l’un de ces migrants qui se réfugiaient alors en Europe occidentale ? Ah oui, nos ancêtres furent des migrants, n’en déplaise aux xénophobes de tout poil… En découvrant des protéines néandertaliennes dans de minuscules fragments osseux découverts dans les mêmes niveaux que les parures, les chercheurs pensent pouvoir confirmer que Neandertal est bien le responsable du percement de diverses dents et morceaux d’os qui devaient garnir bracelets ou colliers.
Mais il ne s’est pas contenté de trouer des racines de dents tel le premier Rahan venu. Et il est un détail capital que nos gazettes n’ont pas relevé, à ma connaissance : parmi ces parures il y a en effet une rhynchonelle, un brachiopode fossile ramassé loin de là, et soigneusement scié pour être porté en pendentif. Neandertal collectait donc des fossiles il y a 40000 ans : était-ce une amulette pour se protéger des forces du mal, un souvenir d’un chouette coin de pique-nique, un cadeau du fils de Crâo ou pour faire joli ? L’arborait-il fièrement, cette rhynchonelle, sur son torse musclé, la portait-elle gracieusement à la naissance de ses jolis seins ? Nos meilleurs préhistoriens ne se prononcent pas. Nous pouvons donc rêver.
Il était en tout cas aussi attentif à la matière paléontologique, ce vieux Neandertal, que son successeur dans la vallée de la Cure, le camarade Cro-Magnon. L’un ou l’une de ces derniers portait un trilobite autour du cou, le perdit durant le Magdalénien dans une autre grotte d’Arcy-sur-Cure où il fut retrouvé 15000 ans plus tard par le piochon d’un savant : ainsi fut baptisée la Grotte du Trilobite. Voici donc en un même lieu mais à vingt-cinq mille ans d’écart deux invertébrés fossiles utilisés en joaillerie préhistorique, ce qui ne peut être qu’une pure coïncidence. Passent les époques (le Châtelperronien, le Magdalénien…), passent les hommes, le fossile demeure source d’inspiration. Serait-il, auprès du rire, le propre de l’homme ?
Référence :
Frido Welker, Mateja Hajdinjak, Sahra Talamo, Klervia Jaouen, Michael Dannemann, Francine David, Michèle Julien, Matthias Meyer, Janet Kelso, Ian Barnesf, Selina Bracef, Pepijn Kammingag, Roman Fischerh, Benedikt M. Kesslerh, John R. Stewart, Svante Pääbo, Matthew J. Collins & Jean-Jacques Hublin. 2016. Palaeoproteomic evidence identifies archaic hominins associated with the Châtelperronian at the Grotte du Renne, PNAS vol. 113, no. 40, 11162–11167.
Sur le trilobite et sa découverte, plein d’infos (en anglais) ici : http://mammothtales.blogspot.fr/2016/03/trilobite-note.html
Publié dans : Histoire de la paléontologie,Néandertal
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