La célèbre massue caudale d’Ankylosaurus est au menu de ce jour. Un siècle d’illustrations nous ont fait rentrer dans le cerveau que le fameux dinosaure herbivore américain utilisait cette massue, comme son nom l’indique, pour balancer de grands coups dans les pattes des tyrannosaures et les dissuader ainsi de le consommer. Avant d’ouvrir ce chapitre paléobiologique (servait-elle vraiment, cette massue, à asséner des coups brutaux ? N’était-ce pas plutôt un perchoir pour de gentils petits oiseaux ?), penchons-nous, à la suite des paléontologues Victoria M. Arbour et Philip J. Currie, sur son évolution.
Car si Ankylosaurus et ses cousins les ankylosauridés possèdent une massue caudale, ce n’est pas le cas des autres membres du groupe des ankylosaures, les nodosauridés, dont la queue se termine tristement, comme la queue de n’importe qui. Et d’abord en quoi consiste cette massue ou cette masse d’armes ? Comme toute masse, en un manche solidement fixé dans une extrémité renflée. Le manche, ce sont les dernières vertèbres de la queue, qui sont fortement modifiées pour constituer une tige rigide. L’extrémité, ce sont des ostéodermes (des os qui se développent dans la peau comme chez les crocodiles) soudés entre eux et aux vertèbres. Si l’on y regarde de plus près on se rend compte que ce sont en particulier les prézygapophyses, des petites tiges d’os qui servent à relier les arcs neuraux des vertèbres les uns aux autres, qui sont démesurément allongées, puisqu’elles recouvrent entièrement la vertèbre précédente, rigidifiant ainsi toute l’extrémité de la queue en bloquant les mouvements intervertébraux. Ce « manche » est indispensable pour pouvoir maintenir l’énorme masse postérieure, qui devait peser jusqu’à plusieurs dizaines de kilos, sans que celle-ci ne traîne lamentablement par terre. A ce sujet les pistes connues d’ankylosaure ne montrant pas un profond sillon entre les traces des pattes, ipso facto la massue n’était pas utilisée comme le soc d’une charrue pour labourer les champs mais était maintenue au-dessus du sol. Et sans modification des vertèbres de la queue, le poids à son extrémité l’aurait brisée en deux sans coup férir.
On a donc une évolution en parallèle du squelette interne (les vertèbres) et du squelette externe (les ostéodermes) d’où la question : est-ce le manche (les vertèbres) ou la masse (les ostéodermes) qui s’est développé en premier ? Ou bien les deux ensemble ? Pour y répondre, rien de mieux qu’une plongée chez quelques vieux ankylosaures du début du Crétacé. A tout hasard examinons Liaoningosaurus, un mini-ankylosaure chinois long de 33 cm. Il n’a pas de masse d’arme à l’extrémité de la queue mais ses vertèbres caudales montrent les modifications caractéristiques de la famille : le manche est là mais pas la masse. Idem chez Gobisaurus, un autre ankylosaure asiatique plus récent. Donc certaines espèces ont des vertèbres modifiées et pas de massue terminale, de même que les jeunes Pinacosaurus, dont les adultes sont pourvus de la massue. L’on suppose donc que la modification des vertèbres a précédé le développement des ostéodermes de l’extrémité de la queue dans l’évolution des ankylosauridés. On est en droit alors de se demander à quoi servait ce manche sans masse. N’étant pas un expert en la matière je laisse ici à Renaud la responsabilité de la réponse, dans un poème comme on les aime :
D’ nos jours dans les baloches,
On s’exprime, on s’ défoule :
A grand coup d’ manches de pioches
Une fracture, ça dessaoule.
Et au fait, perchoir ou masse d’armes cette structure ? Etait-ce pour castagner les tibias des tyrannosaures et autres ankylosaurivores potentiels ? Répondre à cette question, c’est une autre paire de manches ! V. Arbour remarque que les très jeunes ankylosaures sont dépourvus de massue, celle-ci se développant quand l’individu avançait en âge. Or une arme ne se développant qu’à un âge avancé ne constituerait pas un avantage sélectif formidable… Alors ? Peut-être en était-ce un, d’avantage, lors de combats durant les parades amoureuses, les ankylosaures se disposant flanc contre flanc pour s’envoyer de grands coups de massue dans les côtes. Mais est-ce que ça faisait mal ? Victoria Arbour, dans une autre publication, a calculé les dégâts que pouvait engendrer la fameuse massue. Un gros ankylosaure comme Euoplocephalus, dont la queue mesurait 3,50 mètres de long avec une masse de 20 kilos, aurait une puissance d’impact de 36000 à 72000 N/cm2 (une pression de 364 à 718 Mpa), largement de quoi réduire un os en bouillie !
La massue ne servait donc sans doute pas seulement à faire joli… Attendons quelques futures études annoncées sur l’état des côtes des ankylosaures et des péronés de tyrannosaures pour conclure définitivement quant à son usage le plus commun.
Références :
Arbour, V. M. 2009. Estimating impact forces of tail club strikes by ankylosaurid dinosaurs. PLoS ONE 4, e6738.
Arbour, V. M. & Currie, P. J. 2015. Ankylosaurid dinosaur tail clubs evolved through stepwise acquisition of key features Journal of Anatomy, 227, 514-523.
Renaud, 1979, C’est mon dernier bal.
Publié dans : Amérique du Nord,Anklylosaure,Evolution,Nouveautés
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On pourrait se demander si ce n’était pas pour que le tyrannosaure confonde la queue de l’Ankylosaurus avec sa tête.
Brillant ! Une sorte de bobtail en dur…
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