Le Dinoblog

La paléontologie dans tous ses états, par l'équipe du musée des dinosaures

Quand les dinosaures faisaient pleurer le colosse *

Le 12 mai 2014 par Jean Le Loeuff

Vous avez peut-être remarqué, sagaces lecteurs, que j’ai un petit faible pour les sujets un tantinet scatologiques… Il a d’ailleurs déjà été question sur ce blog, à plusieurs reprises, de coprolithes, c’est-à-dire de caca fossilisé, mais le sujet des micturalithes fut à peine esquissé (ici, si vous avez la flemme d’y aller je rappelle que les micturalithes sont les traces fossiles résultant de l’interaction de l’urine liquide et du substrat : en urinant sur du sable, nous créons une dépression qui, si elle se fossilise, deviendra un micturalithe ; oui, c’est beau comme l’antique). Notez au passage que j’écris le micturalithe au masculin comme le coprolithe, λίθος étant de ce genre chez les Grecs, mais si un grammairien ou un hélléniste distingué (ou pas) s’en offusque je suis prêt à changer. En même temps Google prétendant que je suis le seul à avoir usé de ce terme en langue françoise, j’en déduis que mes contemporains n’y ont pas trop prêté attention. Vox clamantis in deserto

C’est en lisant un billet de Brian Switek sur son blog Laelaps que j’ai découvert de nouvelles informations, dont je vous confesse qu’elles m’avaient totalement échappé au moment de leur publication, sur ce fascinant sujet. Jusque-là je considérais le micturalithe comme un objet théorique chez les dinosaures : un dinosaure urinant sur du sable devait en effet creuser des trous, et pourquoi ces traces-là ne se seraient-elles pas fossilisées ? Mouaip, enfin si ma tante en avait…

J’en étais donc resté à un micturalithe théorique, une abstraction urinaire en quelque sorte. Or Switek a exhumé de la littérature une paire de cas concrets : de curieuses dépressions disséminées au milieu de pistes de dinosaures. C’est d’abord dans le Crétacé inférieur du Brésil que des géologues locaux ont découvert des empreintes un peu bizarres qui évoquent fortement la dépression produite par un liquide s’écoulant sur du sable : 70 cm de long par 40 cm de large, un cratère d’impact d’un côté et ce qui ressemble à des lignes d’écoulement de l’autre. Le fossile ressemble bigrement au pseudo-micturalithe fabriqué par les auteurs à titre de comparaison (avec de l’eau malheureusement)… Comme le coin est farci d’empreintes de pas de dinosaures, convenons que l’interprétation est loin d’être ridicule, et même adhérons-y avec enthousiasme ! Et un micturalithe dinosaurien, un !

Un micturalithe crétacé du Brésil (à gauche) et un exemple actuel à droite

Ce premier exemple est tout à fait sympathique, quoique la modeste dimension du micturalithe soit un peu décevante. Passons au second qui, s’il n’a malheureusement pas encore été illustré (il s’agit d’un court résumé d’une communication faite durant un congrès), est beaucoup plus savoureux de par son ampleur. Transportons-nous donc dans le Jurassique supérieur du Colorado où des centaines de pistes de sauropodes et de théropodes sont connues. Sur l’une de ces dalles à empreintes existe une mystérieuse dépression longue de 3 mètres, large d’un mètre cinquante et profonde d’une trentaine de centimètres : un joli petit jacusi. Selon les paléontologues McCarville et Bishop cette baignoire a été créée par un flot de liquide arrivant d’en haut ; et le contexte les porte à croire qu’en haut, c’était un sauropode qui faisait pleurer le colosse… C’est en tout cas, à l’heure où nous mettons ces lignes en ligne, le plus vaste micturalithe du monde…

Il nous faut donc admettre que les dinosaures pissaient ce qui en soi est une information intéressante sur leurs modes d’excrétion. Il est en effet permis de s’interroger : faisaient-ils séparément pipi et caca comme les crocodiles ou bien, comme la plupart des oiseaux, fabriquaient-ils un immonde cocktail pipi-caca qu’ils lâchaient en une fois ? Rappelons que chez les oiseaux ou les crocodiles, et donc chez les dinosaures, les voies intestinale, urinaire et génitale s’ouvrent dans une même cavité interne, le bien nommé cloaque. Mais chez l’autruche par exemple, il n’y a pas ce mélange urine-excrément si salissant chez leurs congénères : quand elles vont au petit coin les autruches expulsent d’abord un violent jet d’urine avant de lâcher quelques jolies petites crottes rondes. L’autruche est donc susceptible de fabriquer des micturalithes et des coprolithes, alors que les autres oiseaux seraient plutôt les auteurs d’urolithes (à nouveau ces termes élégants ont déjà été définis dans ce billet, je n’y reviens donc point).

Les dinosaures, du moins certains d’entre eux, auraient-ils pratiqué de la même manière que les autruches ? Tout porte à le croire, puisque si l’on connaissait déjà quelques crottes dinosauriennes, l’existence dorénavant démontrée de micturalithes dinosauriens prouve qu’ils pouvaient uriner séparément.

 

 

*on rappellera que « faire pleurer le colosse » c’est uriner. Concernant l’utilisation (ou non) du pénis dans l’urination on consultera avec profit l’excellent blog Stange Stuff and Funky Things de Pierre Kerner (ici, au sujet des crocodiles).

Fernandes, M., Fernandes, L., Souto, P. 2004. Occurrence of urolites related to dinosaurs in the Lower Cretaceous of the Botucatu Formation, Paraná basin, São Paulo State, Brazil. Revista Brasileira de Paleontologia. 7, 2:263-268

McCarville, K. & G.A. Bishop, 2002. To pee or not to pee: Evidence for liquid urination in sauropod dinosaurs. Journal of Vertebrate Paleontology 22: 85A.

Brian Switek, The surprising science of dinosaur pee

 

 

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Publié dans : Amérique du Nord,Amérique du Sud,Coprolithe,Nouveautés,Paléoichnologie

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7 Réponses pour “Quand les dinosaures faisaient pleurer le colosse *”

  1. Frédéric André dit :

    Moralités :
    1 – Il n’est pas obligatoire d’élaborer des Fictions Moireuses pour arriver un résultat aussi logique que concret…
    2 – Laissez pi..er le mérinos !

  2. [...] Vous avez peut-être remarqué, sagaces lecteurs, que j’ai un petit faible pour les sujets un tantinet scatologiques… Il a d’ailleurs déjà été question sur ce blog, à plusieurs reprises, de coprolithes, c’est-à-dire de caca fossilisé, mais le sujet …  [...]

  3. Papalima dit :

    Je m’attends au pire dans un prochain billet.
    Va-t-on découvrir des traces de m***ion de nos chères bestioles ?
    http://www.ledauphine.com/france-monde/2014/05/14/des-spermatozoides-vieux-de-17-millions-d-annees-decouverts-en-australie
    Je sais, 17 millions d’années, le compte n’y est pas, mais en creusant un peu ?

    • Je préfère ne pas évoquer les causes possibles de la présence de spermatozoïdes d’ostracodes dans les excréments d’une chauve-souris.

  4. Audrey dit :

    C’est génial !!
    A qui appartiennent les traces de dinosaures qui entourent la petite merveille? Est ce que des « coprolites » ont été aussi retrouvé(e?)s dans le même coin? Combien de micturalithes (appartenant potentiellement à des dinosaures) sont recencé(e?)s pour l’instant?

    (On va pouvoir faire de la Physique ! Ils font des simulations (informatique) pour les reproduire? )

    • Ce sont en effet des sortes de cratères d’impact dont l’étude est du domaine de la physique… Pour l’instant l’inventaire mondial des micturalithes tient dans ce billet, mais on peut espérer que les choses vont évoluer !

  5. Euanthropos phylogynopygidia dit :

    Si on suit votre autruche jusque le crétacé au but du micturalithe il devrait se trouver des des coprolithes. Comme dit Audrey on peut les chercher et calculer force, hauteur et quantité, les reliant aux empreintes. Déjà j’imagine que avec d’autres copro on sait ce qu’ils mangeaient.

  6. allal Bedi dit :

    Pour éclairer nos lanterne et faire pleurer nos colosses de joie ne serait -il pas possible comme dans toute enquête qui se respecte de procéder à une reconstitution des faits : prendre une quantité d’eau supposée pouvant être contenue dans un cloaque, la verser d’une hauteur supposée être celle à laquelle un sauropode l’aurait éjectée et comparer, ajuster la quantité et la hauteur si nécessaire la trace confirmant la quantité et la quantité confirmant le volume du cloaque donc le propriétaire (confirmé par les traces) Refaire l’opération l’opération avec un mélange eau + autres rejets. Et là je crois que la trace parlera d’elle même pour dire s’il s’agit de micturalithe ou de mixturalithe.
    A.B.