Le Dinoblog

La paléontologie dans tous ses états, par l'équipe du musée des dinosaures

Des géants post-cataclysmiques ?

Le 29 avril 2014 par Lionel Cavin

 

Ça vous évoque une scène de Nausicaa ?

Les dieux guerriers géants de Nausicaa par Hayao Miyazaki

Non, il n’est pas question ici de causer du cataclysme imaginé par Hayao Miyazaki et des aventures d’une jolie princesse amie d’Omous.  Le thème du jour est l’extinction de masse qui s’est produite il y 252 millions d’années, à la limite Permien – Trias. Elle fut la plus sévère qui ait affecté la vie depuis que celle-ci ressemble à peu près à ce qu’elle est aujourd’hui (c’est-à-dire en oubliant ce qui a pu arriver aux vendobiontes et autres bestiaux bizarres de l’Ediacarien il y a plus de 540 millions d’années). Plus de 95% des espèces marines et 70% des vertébrés terrestres sont rayés de la carte pour des raisons encore discutées, mais certainement liées aux grands épanchements basaltiques qu’on observe en Sibérie.

Les épanchements volcaniques de Sibérie à Putorana, © Paul B. Wignall (2011), Nature 477

Ce grand coup de balai a fait place nette pour les quelques rescapés de la catastrophe et donna libre cours à l’évolution pour « inventer » de nouvelles formes de vie, dont les plus connues seront les dinosaures. Il est généralement admis que la vie a eu besoin de plusieurs millions d’années pour se relever de cette catastrophe : 9 millions d’années pour que des écosystèmes complexes se réorganisent dans les océans et plus longtemps encore sur la terre ferme. Pendant cette période de latence, on considère que la planète Terre était habitée par les « faunes lilliputiennes » dans les océans et les « faunes du désastre » sur la terre ferme, dont le représentant terrestre le plus connu est certainement le mignon petit Lystrosaurus, à longues canines et à courte queue.

« Il faut laisser le temps au temps » clame la sagesse populaire (elle dit aussi qu’ « un chien sans queue ne peut exprimer sa joie »). Mais cette maxime paléontologique est remise en cause par une équipe de paléontologues zurichois menée par Torsten Scheyer.  Ces chercheurs ont constaté que les travaux récents qui analysent cette période d’attente après la catastrophe de la limite Permo-Trias, avant le retour à la normale des faunes marines, reposent essentiellement sur les données issues de gisements chinois. Ces localités, comme Panxian, Xingyi et Guanling dans la province de Guizhou, Luoping dans le Yunnan, contiennent de magnifiques faunes de poissons et de reptiles marins. Mais elles sont datées du Trias moyen et Trias supérieur, c’est-à-dire une époque où les faunes sont censées avoir déjà retrouvé leur pleine forme. « N’oublions pas », se sont dits les paléontologues helvètes, « les localités classiques du Trias inférieur, telles que celles du Groenland, du Spitzberg, de Madagascar ou encore de Colombie britannique». Sachant que les écosystèmes complexes sont composés de top-prédateurs, c’est-à-dire pour les poissons d’individus de grande taille, ils ont considéré que la mesure de la taille de ces animaux pouvait refléter la complexité des chaînes alimentaires de l’époque. Ils ont donc mesuré la taille des poissons connus au Trias inférieur et moyen, puis comparé les valeurs moyennes des différentes périodes. Et il est apparu que les poissons du Trias inférieur sont plus grands que ceux du Trias moyen, un résultat opposé à l’hypothèse d’un lent retour vers l’installation d’écosystèmes complexes. Ensuite, ils sont allés voir de plus près à quoi ressemblaient ces poissons : s’ils n’étaient pas des habitants de Lilliput, étaient-ils peu diversifiés et d’une morphologie ennuyeuse ? Et bien pas du tout ! Il y en avait des ronds (Bobasatrania), des longs (Saurichthys) et même des plutôt normaux (Pteronisculus). Parmi les requins, certains mâchaient des poissons et d’autres croquaient des coquillages. « Mais les poissons ne sont juste que de la nourriture pour les grosses bêtes » prétendent certains de mes collègues malveillants. Qu’en est-il de ces vrais gros animaux, les tétrapodes et en particulier les amphibiens et les reptiles marins ? Etaient-ils tous riquiquis au début du Trias? Que nenni ! Il y a par exemple l’incroyable Tanystropheus, avec son cou démesuré, mais aussi toute une ribambelle de reptiles marins de taille respectables, bien que non gigantesques (placodontes, sauropterygiens, etc.), qui constituaient déjà des écosystèmes diversifiés et complexes.

Faunes de vertébrés marins durant deux périodes du Trias inférieur. © Scheyer et al. 2014

Les auteurs de l’étude décrivent également un nouveau fossile des Etats-Unis, qu’il serait tentant de ranger dans la grande famille des rogatons* mais qui s’est révélé être un humérus d’ichtyosaure devant dépasser les 10 mètres de long.

Humérus d’un ichtyosaure géant du Spathien (Trias inférieur) de Hammond Creek en Idaho. © Scheyer et al. 2014

Bref, tout cela pour dire qu’il semble bien qu’après l’extinction de la limite Permo-Trias, des écosystèmes complexes, avec des chaînes alimentaires à multiples maillons et contenant de gros prédateurs, se sont très vite mis en place. Ce résultat ne remet pas en cause la gravité de la catastrophe, mais il semble montrer que la vie est plus prompte à se réorganiser qu’on se l’imaginait, en tout cas dans les océans.

 

* Terme utilisé sur les fouilles paléontologiques pour désigner des fragments d’os fossilisés tellement mal conservés qu’ils ne méritent pas d’être conservés, ou alors juste pour y faire de la géochimie.

Référence

Torsten M. Scheyer, Carlo Romano, Jim Jenks, Hugo Bucher. Early Triassic Marine Biotic Recovery: The Predators’ Perspective. PLOS ONE, March 19, 2014. DOI: 10.1371/journal.pone.0088987

 

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Publié dans : Evolution,Extinctions,Nouveautés,Poissons fossiles

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2 Réponses pour “Des géants post-cataclysmiques ?”

  1. Stephen Giner dit :

    Bonjour,
    je suis toujours resté très sceptique quand on parlait de 9 millions d’années pour que les écosystèmes se remettent de la catastrophe P/T.
    C’est une durée de temps énorme (seulement 7 millions d’années se sont écoulées depuis Sahelanthropus tchadensis…).
    Quand on voit la vitesse de reprise des écosystèmes après Hiroshima, Nagasaki, et Tchernobyl, cela laisse rêveur et entretien mon scepticisme sur une reprise dépassant ne serait-ce que quelques centaines de milliers d’années…
    Bien à vous tous.

  2. [...] Ça vous évoque une scène de Nausicaa ?  [...]

  3. JS dit :

    Hiroshima, Nagasaki, et Tchernobyl n’ont pas externminer la vie, ils l’ont plutôt rendu malade, c’est l’humain qui a décider de déserter les lieux, mais la vie a continuer.