L’illustre auteur de bande dessinée Jacques Tardi nous aurait-il roulés dans la farine, nous les fidèles lecteurs d’Adèle Blanc-Sec ? Grave accusation, je n’en disconviens pas… Hélas les preuves sont irréfutables, et je ne puis les garder plus longtemps par devers moi…
Que nous affirme exactement Tardi, avec un aplomb impressionnant ? Que la première aventure d’Adèle (Adèle et la Bête) commence le 4 novembre 1911 à 23h45 précises pour s’achever au cours du mois de décembre de la même année (dans la nuit du 4 au 5 décembre, soit exactement un mois plus tard). Mais notre auteur, dont chacun connaît la rigueur et le souci de l’exactitude, a laissé de minuscules indices dans son œuvre qui démentent formellement cette assertion, des indices qui ont apparemment échappé jusqu’ici à la sagacité des historiens. Je prétends ici rétablir la chronologie : cette première aventure d’Adèle n’a pas eu lieu durant l’hiver 1911, mais à la fin de l’année 1912… Résumons, ce qui n’est pas simple, les grandes lignes de l’histoire d’Adèle et la Bête : l’éclosion d’un œuf de ptérodactyle dans la galerie de paléontologie du Muséum National d’Histoire Naturelle, lors d’une expérience menée par l’inquiétant Philippe Boutardieu, provoque une série d’accidents dramatiques dans la capitale. Le Président Fallières s’émeut. Le peu brillant inspecteur Léonce Caponi est chargé de l’enquête pendant qu’Adèle Blanc-Sec, aidée par les traîtres Joseph et Albert, enlève la photographe Edith Rabatjoie et que l’illustre chasseur de fauves Justin de Saint-Hubert revient d’Afrique pour abattre le monstre. Bon, cette histoire n’est absolument pas résumable en fait, j’abandonne… Parmi les personnages le paléontologue Ménard et son adjoint Zborowsky, amoureux transi d’Adèle, tentent de capturer vivant le reptile volant, mais il est abattu sous leurs yeux horrifiés par le stupide tueur de lions. De nombreuses péripéties suivent la mort du fossile ressuscité, mais je n’essaierai pas de les évoquer : lisez donc Adèle si ce n’est déjà fait !
Passons désormais aux preuves de la subtile manipulation de Tardi. Le premier indice à l’appui de ma thèse est à la page 47, l’avant-dernière page du livre (Tardi a-t-il pensé que nous serions moins concentrés à ce stade de notre lecture ?) : Adèle s’enfuit en courant après avoir assisté, impuissante, à l’assassinat de Lucien Ripol au cœur de la galerie de paléontologie du Muséum National d’Histoire Naturelle. Dans sa fuite elle longe le crâne de Triceratops. Rappelez-vous, selon Tardi nous sommes alors le 4 décembre 1911. Or en décembre 1911 ce crâne, découvert durant l’été 1911 dans le Wyoming, est encore dans les ateliers de préparation de Charles Sternberg, le chasseur de dinosaures canadien. C’est le 20 mars 1912 que le paléontologue Marcellin Boule, un collègue de Ménard, l’achète à Sternberg pour 1000 dollars. Sternberg l’expédie le 18 juillet. Le crâne arrivera au Muséum de Paris le 2 octobre 1912. Troublant, non ?
Mais ce n’est pas tout, et vous allez devoir admettre que Tardi a délibérément décalé cette histoire dans le temps. Le second indice est à la page 20. Zborowsky rêve d’Adèle, nue, et se retrouve pourchassé par un troupeau de dinosaures, au sein duquel on reconnaît sans peine un Corythosaurus, un hadrosaure au crâne surmonté d’un curieux cimier.
Le Corythosaurus qui hante les rêves érotiques de Zborowsky confirme mon hypothèse : il a été découvert par Barnum Brown en septembre ou en octobre 1912 dans l’Alberta, au bord de la Red Deer River. Barnum avait fait construire un radeau pour accéder aux nombreux affleurements situés le long de la rivière (pour en savoir plus sur les facéties de Barnum achetez cet édifiant ouvrage), et le corythosaure est l’un des très nombreux squelettes de dinosaures qu’il exhuma grâce à cette stratégie audacieuse de navigation paléontologique. Zborowsky, préparateur au Muséum de Paris, correspondait probablement avec Barnum, après tout ils n’étaient pas si nombreux à l’époque à s’intéresser aux grands vertébrés fossiles. Barnum, grand photographe devant l’Eternel, lui expédia peut-être une photo de l’extraordinaire squelette AMNH 5240, l’holotype de Corythosaurus casuarius (que Brown décrivit formellement en 1914 seulement). Et cette image extraordinaire se grava dans le cerveau tourmenté de notre homme.
Résumons : le Corythosaurus a été découvert à la fin de l’été ou au début de l’automne 1912 ; le crâne de Triceratops, découvert pendant l’été 1911, est arrivé en octobre 1912 au Muséum. J’en conclus que l’affaire du pétrodactyle (ou pierodactyle) qui donna tant de fil à retordre à l’inspecteur Léonce Caponi s’est déroulée à la fin de l’année 1912, soit un an exactement après ce que prétend Jacques Tardi. On ne se méfie jamais assez des dinosaures…
Reste évidemment une question à laquelle je n’ai pas trouvé de réponse : pourquoi diable Tardi a-t-il procédé à cette curieuse manipulation temporelle ?
Brown B. 1914. Corythosaurus casuarius, a New Crested Dinosaur from the Belly River Cretaceous, with Provisional Classification of the Family Trachodontidae. American Museum of Natural History Bulletin 33: 559–565.
Goussard F. 2006. The skull of Triceratops in the palaeontology gallery, Muséum national d’Histoire naturelle, Paris. Geodiversitas 28 (3) : 467-476.
Tardi J. 1976. Adèle et la Bête. Casterman, 1-48.
Publié dans : Analyse de livre,Fouilles paléontologiques,Littérature fantastique,Nouveautés,Ptérosaure
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Probablement parce qu’on n’était pas sûr du tout de l’âge des ossements (aïe ! mes rhumatismes !)
Il a du se dire « qu’est-ce qu’une erreur d’un an en regard d’une erreur de quelques dizaines de millions d’années ? Bah ! Donnons-lui un an de moins ! Ca lui fera plaisir… »
Où va se nicher la coquetterie d’Adèle quand même…
Extra ! Les experts Espéraza… le meilleur spin-off des experts.
Question: la dernière photo là… le double X-ray cliché…
On a l’impression de voir la peau… des organes internes… Quid de cette momie ?… Je vais allez voir de ce pas… de souris émectronique ce qu’il en est en cliquant sur « Brown B. 1914. Corythosaurus casuarius »
Plutôt sur Brown B. 1916, Corythosaurus casuarius: Skeleton, Musculature and Epidermis où Barnum décrit l’épiderme ; l’article de 1914 ne concerne que le crâne. Voici le lien : http://digitallibrary.amnh.org/dspace/bitstream/2246/1330/1/B035a38.pdf
Pourquoi ne pas poser la question à Jacques TARDI « himself » ?
C’est bien tentant mais oserons-nous importuner le Maître pour de pareilles balivernes ?
Osez ! osez !
Vous avez la légitimité.
Osons tout, ainsi l’on nous reconnaîtra ! Voilà ça, c’est fait…
Je n’ai pas trouvé son adresse courriel, mais il a un compte « fesse bouc » :
https://www.facebook.com/TardiBD
Moi je dis que le ptérodactyle qui a pondu l’œuf de Moa a du vivre un moment difficile.
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