La Maison européenne de la Photographie présente jusqu’au 16 mars 2014 une exposition de l’artiste catalan Joan Fontcuberta intitulée « Camouflages ». En préambule, l’artiste convie le poète soufi Mahmoud Chabestari : « Ce n’est pas que le monde soit trompeur, mais plutôt que, dans son incapacité à voir, l’homme s’ingénie à être trompé… Nous sommes aveugles car nous voyons des images. » « Pourquoi croire aux photos ? » demande Fontcuberta. « Pourquoi invariablement accorder une confiance sans borne à l’œil mécanique de l’appareil photo ? » Pour lui « générer le soupçon et remettre en question la crédibilité charismatique de la photo équivaut à conjurer les régimes de vérité et à refuser tout discours d’autorité. » Bien bien mais tout ceci n’est-il pas un tout petit peu pédant pour le DinOblog ? Et puis quel rapport entre un photographe catalan, un poète soufi et la paléontologie ?
C’est que la première partie de cette réjouissante installation est consacrée aux fascinantes découvertes paléontologiques de l’Abbé Fontana en Provence, au lendemain de la Seconde Guerre Mondiale ; Joseph Fontana était un élève de l’Abbé Albert-Félix de Lapparent (1905-1976), le grand spécialiste français des dinosaures. Fontana exhuma dans des couches miocènes de la région de Digne des squelettes parfaitement conservés d’hydropithèques (étymologiquement : singes d’eau) : crânes et membres antérieurs hominoïdes associés à des queues de poisson… Cela a comme un petit air de déjà vu, par exemple du côté du port de Copenhague, non ? Car ce sont bel et bien des squelettes de sirènes que découvrit Fontana, non loin des squelettes de siréniens de la réserve géologique de Digne. Je rappelle que si la sirène (du moins selon l’iconographie suggérée par Google images) est une charmante petite créature à forte poitrine et queue de poisson, le sirénien, parfois affublé du sobriquet de vache marine, est un gros mammifère marin dont l’origine a déjà été discutée dans ces colonnes (ici). Mais de l’origine paléontologique des sirènes il n’avait, fort heureusement, jamais été question sur le DinOblog. Sur ce revenons à l’Abbé Fontana : les autorités ecclésiastiques, par le truchement de Monseigneur l’Evêque de Digne, s’en mêlèrent et surent étouffer la découverte compromettante de nos deux bons abbés car, c’est bien connu, on nous ment ! Le secret a tenu une cinquantaine d’années, et puis voici qu’arrivèrent les belles photographies de Fontcuberta des squelettes d’hydropithèques sur le terrain (commandées par le journal National Geologic) . Les photos ne laissent bien sûr aucun doute sur la réalité de ces trouvailles, d’autant que des moulages des spécimens les mieux conservés accompagnent l’exposition.
Une vidéo fort convaincante fait partie de l’installation, si convaincante d’ailleurs que nombre de visiteurs écarquillent les yeux et semblent se laisser prendre. Aïe ! Le propos de l’artiste est pourtant clair : « avant tout Fontcuberta nous apprend à douter. Et pour réussir dans cette tâche il déploie ses stratégies d’imposture, d’infiltration et, bien entendu, de camouflage. »
Bref c’est une belle occasion d’exercer son esprit critique en démêlant le vrai (l’Abbé de Lapparent et le musée Gassendi de Digne, complice de l’installation) et le faux (l’Abbé Fontana et ses hydropithèques, la revue National Geologic, etc.). Finalement le plus « grossier » dans l’histoire pour quelqu’un qui a quelques petites notions d’anatomie c’est l’hydropithèque lui-même. Vous n’aurez pas manqué d’observer que la petite sirène danoise (même sans radiographie on se rend compte qu’elle a des fémurs et des tibias) diffère considérablement des « singes d’eau », lesquels sont totalement dépourvus de bassin et de membres inférieurs et se rapprochent davantage en ceci de la sirène médiévale de Candes-Saint-Martin.
Le squelette de Fontcuberta c’est le haut d’un primate et la nageoire caudale d’un poisson, avec des rayons osseux ; ce qui est phylogénétiquement impossible. Il eût été plus subtil de s’inspirer des mammifères marins (siréniens, baleines ou dauphins) dont la nageoire caudale n’est pas une queue de poisson faite de rayons osseux mais est constituée seulement de muscles (même remarque d’ailleurs chez la plupart des reptiles marins du Sec… euh pardon du Mésozoïque). Retenons que, contrairement à ce billet, les mammifères marins ne se terminent pas en queue de poisson.
L’exposition Camouflages est à la Maison Européenne de la Photographie (7, rue de Fourcy, 75004 Paris) jusqu’au 16 mars 2014.
A consulter sur le sujet le catalogue de l’expo de Fontcuberta à la Réserve géologique de Digne en 2000 :
Joan Fontcuberta, 2000. Volte face à l’envers de la science, les leçons de l’histoire. Images en manœuvre éditions.
Publié dans : Mammifères fossiles,Nouveautés
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La solution préconisée (prendre la queue d’un mammifère marin plutôt que des rayons osseux) si elle semble phylogénétiquement plus correcte se heurte cependant à la difficulté de fossilisation des parties molles alors que le choix a été de représenter une fossilisation des parties osseuses donc minéralisées. Je doute fort que le choix d’une terminaison osseuse de type mammifère marin comme figuré dans votre article eu été parlante pour la plupart des lecteurs non avertis… Paléontologiquement parlant vous avez raison mais sur le plan du canular, le montage semble plus « vrai » … Ceci dit bravo pour vos articles que je lis toujours avec grand plaisir.
Bonjour,
étant du coin, je suis allé voir ces hydropithèques qui font plus vrais que nature. Tellement vrai que de temps en temps, lors de conférences, certaines personnes m’interpellent sur ces « fossiles »….
A quand l’oenopithèque et le bieropithèque ?
Bien à vous et merci pour vos excellents articles.
[...] La Maison européenne de la Photographie présente jusqu’au 16 mars 2014 une exposition de l’artiste catalan Joan Fontcuberta intitulée « Camouflages ». [...]
C’est « voulu » ? Le Champ des sirènes pour suggérer « Chant » ?? Puisque elles attiraient Ulise. Quoi-que souvent on parle d’autres « Chimeras ». Nom générique pour ces Mythes.
Euh oui c’est voulu… Le DinOblog aime bien les jeux de mots et ici le champ ( c’est à dire le gisement) des sirènes fait bien sûr allusion au mélodieux chant des des sirènes…
Vous oubliez de mentionner dans l’article que l’un des spécimens découvert par Fontana présente très clairement des traces pathologiques démontrant qu’elle aurait été molestée par un représentant du clade des selachianthropomorphes.
Je n’arrive pas a retrouver l’article en question mais l’illustration qui y figure est toujours visible sur le site du paleo-artiste Maxime Verehin:
http://s.cghub.com/files/Image/741001-742000/741351/536_large.jpg