Le cœlacanthe, l’icône des fossiles vivants dont il fut déjà question dans ce blog, est à nouveau à l’affiche. Après l’homme, un nématode, le riz, l’ornithorynque et le chimpanzé (parmi bien d’autres), voilà que la revue Nature publie le génome complet de notre Latimeria chouchou.
Les presque trois milliards de bases de l’ADN du poisson ont ainsi été lues et commencent à révéler leurs secrets. Quels sont-ils? Mesdames et Messieurs les auteurs de cet article (je ne vous citerai pas, vous êtes 91), merci ! Vous nous démontrez que les cœlacanthes ne sont pas les plus proches parents des vertébrés à quatre pattes (ou tétrapodes, soit vous, moi, ainsi que les grenouilles, les oiseaux, les mammifères et les reptiles), mais que ce sont les dipneustes qui occupent cette place de choix (les dipneustes sont ces poissons à poumon qui hantent les eaux douces d’Australie, d’Afrique et d’Amérique du Sud.)
Cette info obtenue de manière high-tech n’est pourtant pas plus fraîche que le pauvre cœlacanthe figurant sur la photo ci-dessus. La « bande des quatre », une équipe de (paléo)ichtyologues anglais et américains (mais pas chinois comme leur surnom le sous-entendrait) avait suggéré cette relation en 1981 en utilisant la bonne vieille méthode de la dissection de poissons morts et en observant des fossiles de poissons, morts également. Ils ne faisaient d’ailleurs que reprendre une idée proposée au 19ème siècle, peu après les premières descriptions des dipneustes vivants par des naturalistes. Oh! Je constate que le papier de Nature ne cite pas l’article de la bande des quatre! Petit oubli sans doute. Mais cessons ces peu sensés sarcasmes.
Le génome de Latimeria, je vous le dis en vérité, nous apporte plein d’informations nouvelles. On y découvre par exemple que les gènes impliqués dans la perception des odeurs dans l’air, ainsi que ceux impliqués dans les réponses immunitaires face aux pathogènes terrestres ont beaucoup évolué entre le cœlacanthe et les tétrapodes. On pouvait s’en douter un peu mais encore fallait-il le démontrer : voilà, c’est fait. Ce qui me paraît plus intéressant dans cette histoire, c’est que les gènes des cœlacanthes se transforment plus lentement au fil du temps que les gènes des tétrapodes. A la lente évolution morphologique de cette lignée, qui a valu à Latimeria le sobriquet de fossile vivant, on associe maintenant une lente évolution génétique. Non non, créationnistes de tout poil et de tous bords, ne vous réjouissez pas : que ce soit par leurs gènes ou par leurs os les cœlacanthes évoluent au fil du temps, comme tous les êtres vivants de cette planète. Mais ils évoluent juste un peu plus lentement que les autres, c’est tout !
Les auteurs de l’article suggèrent que cette évolution lente pourrait être liée à l’environnement calme qu’occupent les cœlacanthes. A l’abri dans des grottes volcaniques sous-marines situées entre 100 et 400 mètres sous la surface, presque sans alternance entre le jour et la nuit, ni entre les saisons, et sans les petits événements imprévus qui viennent pimenter l’existence des espèces, à quoi bon évoluer ! C’est là que le paléontologue peut apporter son petit grain de sel par l’intermédiaire du DinOblog. Car si, effectivement, la lignée des cœlacanthes s’est probablement cantonnée aux eaux calmes et profondes depuis la fin du Crétacé (ce qui explique d’ailleurs l’absence de fossile depuis cette époque), il n’en fut pas de même avant. En effet, des cœlacanthes frétillaient dans les eaux douces et côtières depuis le Dévonien jusqu’au Crétacé inférieur, soit pendant près de 300 millions d’années. Et ces environnements-là n’étaient pas particulièrement stables, voire même ils auraient été plutôt propices à une certaine explosion des espèces (Eric Buffetaut, je le constate à l’instant, arrive à la même conclusion dans son dernier livre). Mon avis est donc qu’il y a peut-être quelque chose de propre à la physiologie ou à la génétique de ces poissons (quelque chose d’endogène) qui ne les pousse pas à l’exubérance évolutive. Mais cette hypothèse, c’est aux collègues biologistes et généticiens de la tester.
Si vous voulez voir des cœlacanthes nager presque en direct, consultez le blog de l’expédition Gombessa
références
Amemiya et al. 2013. The African coelacanth genome provides insights into tetrapod evolution. Nature, 496 : 311-316
Rosen, D. E., Forey, P. L., Gardiner, B. G. & Patterson, C. 1981. Lungfishes, tetrapods, paleontology, and plesiomorphy. Bulletin of the American Museum of Natural History, 167: 159-276.
Publié dans : fossiles vivants,Poissons fossiles
Les commentaires et les pings ne sont pas autorisés.
Une bien belle analyse présentée comme une histoire, curiosité comblée!
« Mention gène »
Décidément, le cœlacanthe n’a pas fini de faire parler de lui … Et puisque Patrick Laurenti avait participé au dernier débat autour du concept de fossile vivant (http://www.dinosauria.org/blog/2013/01/29/fossiles-vivants-des-baleines-franches-pas-franchement-disparues-et-pas-franchement-franches/), je conseille vivement la lecture de son dernier papier fraîchement paru:
CASANE D., LAURENTI P. 2013 Why coelacanths are not “living-fossils ». BioEssays 35(4): 332-338
[...] Le cœlacanthe, l’icône des fossiles vivants dont il fut déjà question dans ce blog, est à nouveau à l’affiche. [...]
Sur le même sujet il y a eu d’intéressants échanges sur le blog de Larry Moran!
http://sandwalk.blogspot.ch/2013/04/coelacanths-evolve-more-slowly.html
Merci pour ces remarques et pour le lien vers l’excellent article de messieurs Casane et Laurenti.
Pour en revenir à la phylogénie: la position phylogénétique relative des dipneustes, actinistiens et tétrapodes a certes été suggérée sur des bases cladistiques par Rosen et al. (1981), mais il s’agissait alors d’un « schéma synapomorphiques », selon les propres termes des auteurs. La première analyse phylogénétique détaillée ayant retrouvé l’hypothèse (Actinistia (Dipnoi + Tetrapoda) de Rosen et collègues a été réalisée par Cloutier et Ahlberg en 1996. Auparavant, les analyses se basaient sur des taxons de hauts rangs (ex: Actinistia, Dipnoi, Tetrapoda, Onychodontida, etc). Leur codage respectif était alors composite, obtenu par synthèse de l’anatomie de plusieurs espèces. A l’inverse, l’analyse de Cloutier et Ahlberg (1996) repose sur un codage au niveau spécifique, pour l’essentiel, et sur un large échantillonnage taxonomique, chez les sarcoptérygiens.
Ce résultat a d’ailleurs été confirmé par Forey (1998) dans sa monographie sur les actinistiens et par de nombreuses autres analyses morphologiques depuis, notamment avec la description de formes chinoides dévoniennes qui ont éclairé la diversification des ostéichthyens.
Ce qui m’ennuie particulièrement, dans ce nouveau papier, c’est que la SEULE référence aux analyse phylogénétiques morphologiques date… de 1991 ! De qui se moque-t-on ? Le livre en question n’est pas mauvais – il s’agit du livre édité par Schultze et Trueb sur l’origine des tétrapodes – mais je trouve un peu fort de café qu’aucun de ces 91 auteurs n’aie pas eu l’idée d’inclure une référence plus récente.
A moins qu’il ne s’agisse d’un acte délibéré pour accroître artificiellement l’intérêt de l’article… ce qui serait malhonnête, pour un scientifique !
Une dernière, note, en tant que nomenclaturiste amateur… le SEUL et OFFICIEL « African coelacanth » est… Coelacanthus africanus, du Trias inférieur sud-africain. Il serait bien d’user de termes vernaculaires corrects; en l’occurence, l’article traite de séquences issues de la latimerie de la Chalumna, tout comme Lepus europaeus est le lièvre européen ou le Miniopterus schreibersii est le rhinolophe de Schreibers. Je peux comprendre qu’il faille conserver de vieux noms entrés dans l’usage, mais les termes « célacanthe » / « cœlacanthe » désignent le Coelacanthus, un actinistien éteint depuis le Permien supérieur (>250 Ma) si on le restreint à son espèce type… Un scientifique qui se veut précis doit utiliser des termes précis.
Cloutier R. & Ahlberg P.E. 1996. Morphology, characters, and the interrelationships of basal sarcopterygians. In: Stiassny M.L.J., Parenti L.R. & Johnson G.D., Interrelationships of fishes. Academic Press, San Diego, pp. 445–479.
Forey P. 1998. History of the coelacanth fishes. Chapman & Hall, London, 419 p.