Comment se déplaçaient les premiers tétrapodes ? Dans les années 90, Jenny Clack avait révolutionné notre façon de concevoir la sortie des eaux des vertébrés en proposant que les pattes des premiers tétrapodes aient d’abord évolué dans le milieu aquatique pour être secondairement utilisées pour se déplacer sur la terre ferme. Stephanie Pierce, post-doctorante au Muséum de Zoologie de l’Université de Cambridge (et ma voisine de bureau) va encore plus loin en faisant cette fois-ci appel aux dernières techniques de pointe (la microtomographie notamment). Son étude a été publiée mercredi dans la revue Nature. « Pas à pas », les restes d’Ichthyostega, la star des premiers tétrapodes, livrent leurs secrets et nous permettent de mieux comprendre cette étape évolutive majeure que constitue la sortie des eaux.
Pas moins de 300 spécimens ont été étudiés ; chaque os a été scanné puis articulé en utilisant des techniques similaires à celles utilisées dans les dernières productions Pixar. En manipulant un modèle en trois dimensions, Pierce et son équipe ont été en mesure de déterminer l’amplitude de mouvement maximale qu’Ichthyostega pouvait effectuer au niveau de chacune de ses articulations (épaule, coude, hanche, genou). Pour tester la validité de leur modèle, des analyses similaires ont été réalisées sur cinq espèces modernes qui présentaient de vagues ressemblances écologiques avec Ichthyostega : le crocodile, la salamandre, le phoque, la loutre, et l’ornithorynque. Les chercheurs ont ensuite comparé l’amplitude de mouvement prédite par leur modèle à celle obtenue sur des cadavres des mêmes espèces pour s’assurer de la véracité de leurs prédictions. Ce test a permis de montrer que leur modèle surestimait systématiquement l’amplitude de mouvement, les analyses ne pouvant pas prendre en compte l’influence de tissus mous (comme les tendons, les ligaments et les muscles) qui limitent la mobilité. Ce biais méthodologique aura finalement permis de renforcer les conclusions de l’équipe anglaise.
Comparé aux formes modernes de tétrapodes terrestres, Ichthyostega ne présentait qu’une très faible mobilité au niveau des hanches et des épaules, limitant ainsi la rotation des membres le long leur axe (lorsque vous faites tourner votre bras depuis une position paume vers le sol vers une position paume vers le ciel). Ce type de rotation est particulièrement important pour tous les types de mouvements effectués par des animaux comme les crocodiles, les salamandres et les lézards dont le mode de locomotion est considéré comme relativement primitif. Plus surprenant encore, leurs modèles 3D ont démontré que l’anatomie de la ceinture pelvienne d’Ichthyostega ne lui permettait en aucun cas de supporter son poids sur ses quatre membres. Ses pattes postérieures ne devaient donc pas lui permettre de se déplacer sur la terre ferme à la manière d’une salamandre, une image de la bête largement répandue et qui hante mes souvenirs de gamin …
Une comparaison précise de la mobilité des membres d’Ichthyostega montre qu’il devait se déplacer à la manière de Gobies. Je suis sûr que Lionel Cavin (notre co-blogueur) pourrait nous éclairer un peu plus sur les mœurs de ces étranges poissons qui sont capables de supporter leur poids hors de l’eau à l’aide d’une sorte de trépied composé de deux nageoires pectorales mobiles à l’avant et de nageoires pelviennes plaquées sur la nageoire caudale à l’arrière (pour les plus curieux d’entre vous, voici un lien vers une vidéo, commentaires by Sir David Attenborough s’il vous plaît). Ichthyostega devait utiliser ses membres de manière similaire, ses pattes avant lui permettant de se relever et d’avancer tandis que ses pattes arrière et sa queue trainaient sur le sol. Il est probable que ce type de comportement locomoteur ait permis aux premiers tétrapodes de rester très stables lors de leurs premières tentatives de marche sur la terre ferme.
Ces reconstructions vont surtout permettre de cibler le type d’empreintes qu’Ichthyostega a pu laisser derrière lui. De telles empreintes auraient déjà été retrouvées en Irlande et en Pologne notamment. Pourtant, d’autres types de traces décrites dans les mêmes régions ne semblent pas correspondre au type locomoteur décrit par Pierce et ses collaborateurs. Qui a bien pu laisser ce deuxième type d’empreintes ? Le mystère reste entier pour le moment ! Nul doute quoi qu’il en soit que cette étude laissera des traces, surtout pour avoir révélé ce qui fut un petit pas pour Ichthyostega, mais un pas de géant dans l’histoire des premiers tétrapodes …
Pierce, Stephanie E., Jennifer A. Clack, and John R. Hutchinson 2012. Three-dimensional limb joint mobility in the early tetrapod Ichthyostega. Nature.
Publié dans : Evolution
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On veut les voir ces empreintes, t’as des refs?
Voici la ref citée dans l’article de Stephanie :
Niedzwiedzki, G., Szrek, P., Narkiewicz, K., Narkiewicz, M. & Ahlberg, P. E. Tetrapod trackways from the early Middle Devonian period of Poland. Nature 463, 43–48 (2010)