Prédateur est un métier à risques, et ce depuis la nuit des temps. Dans leurs chasses quotidiennes, les exercices violents auxquels les Carnivores se livrent pour capturer leurs proies sont usants, et ils sont souvent victimes de traumatismes ou atteints de pathologies chroniques invalidantes. Il peut se faire aussi que leurs victimes les blessent ou que d’autres carnivores les agressent pour leur voler leurs proies. Toutes ces pathologies sont aisément identifiables sur le squelette. Aussi, des chercheurs ont décidé pour les déceler d’analyser les ossements des carnivores piégés à Rancho La Brea, en particulier ceux du tigre à dents de sabre, ce grand carnivore quasi mythique dont il n’existe aucun équivalent dans la faune actuelle, afin aussi de mieux comprendre ses techniques de chasse.
En plein cœur de Los Angeles, il existe une nappe de goudron du Pléistocène récent (12 000 ans) qui a piégé des milliers de mammifères. http://www.history.com/topics/us-states/california/videos/rancho-la-brea-tar-pits
Le site et le musée ont nom Rancho La Brea Tar Pitts, c’est-à-dire le ranch de la colle du puits de goudron. En son temps, le marais de bitume a vu s’enliser dans ses vases des milliers d’herbivores qui s’y aventuraient, mais pas que. Dans ce lieu on trouve aussi de très nombreux carnivores, occasionnels charognards, qui croyant se repaître sans effort des agonisants y ont péri. Et à leur tour, ils se noyaient dans ces boues et y étaient ensevelis. Ils sont même huit fois plus nombreux que les herbivores ! Et les plus fréquents sont les restes de tigre à dents de sabre et de loup.
A Rancho La Brea, les deux espèces se rencontraient pour partager un dîner froid. Mais il est probable comme l’a imaginé cet artiste animalier que cette cohabitation était houleuse, et que tigre et loup se disputaient les meilleurs morceaux. Pourtant, ces ripailles n’étaient pas sans risque, puisque des milliers de tigres et loups ont péri, certes le ventre plein, et ainsi alourdi ont rejoint en s’enlisant les restes de leurs victimes qu’ils venaient de décharner.
A ce jour les paléontologues ont recueilli les restes de 342 tigres et 371 loups noyés dans le bitume. En étudiant les 35 000 ossements des deux espèces, ils se sont aperçues qu’au moins 2 000 d’entre eux présentaient des pathologies invalidantes (1).
Tigres et loups avaient des techniques de chasse très différentes. Les loups d’alors, comme les actuels, poursuivaient leurs proies sur de longue distance et chassaient en meute en se relayant pour épuiser leurs futures victimes. Au final, ils les tuaient en les étranglant de leurs mâchoires. On suppose que les tigres à dents de sabre usaient d’une technique bien différente. C’est après un long affût qu’ils se précipitaient sur leurs proies et les poignardaient à mort. Ainsi les parties du corps les plus sollicités lors des agressions étaient chez le tigre les épaules, le thorax et le dos, alors que chez les loups, ce sont ses quatre pattes qui étaient les plus soumises aux efforts.
Et d’ailleurs les chercheurs ont constaté que les traumatismes et les pathologies chroniques sont différemment distribués chez les deux prédateurs. Ainsi pour le tigre, ses épaules et ses vertèbres thoraciques et lombaires sont les plus sujettes à trauma, alors que chez le loup les traces de fracture les plus fréquentes sont situées sur les vertèbres cervicales, les chevilles et les orteils. Dans le premier cas, c’est en se précipitant de tout son poids sur une proie que le tigre pouvait se blesser en bistournant son dos, le « twistant » ; dans le deuxième, c’est les muscles du cou et les cervicales qui étaient sollicités et le bout des pattes pour étouffer une proie après une longue course poursuite.
Cependant, seulement 3/% des tigres et 4% des loups portent des traces de traumatisme. Une étude statistique permet de cartographier sur les silhouettes du squelette des deux espèces les zones les plus affectées par des lésions traumatiques et celles dues à des pathologies chroniques. La plupart sont la conséquence d’arthroses chroniques, les traces de fracture et traumatisme étant plus rares. Ainsi ce sont les os des épaules, des vertèbres de la cage thoracique et des lombaires qui sont les plus affectées, alors que ce sont les vertèbres du cou et ses mâchoires du loup qui portent le plus de traces de lésions.
Ainsi il y a des différences très nettes dans la situation anatomique et la fréquence des pathologies relevées chez l’une et l’autre espèce. Elles sont le reflet de leurs modes de chasse très différents.
Dans l’idéal, il aurait été bienvenu de faire une comparaison précise avec des ossements de carnivores actuels afin de constater de quelles pathologies ils souffrent. Mais il n’existe dans aucun musée des collections aussi riches que celles livrées par le gisement de Rancho La Brea. C’est ce côté exceptionnel qui en fait un véritable trésor pour l’histoire de la vie sur Terre, et il n’a pas fini de nous livrer tous ses secrets, loin de là.
Référence :
Caitlin Brown et al, 2017. Skeletal trauma reflects hunting behaviour in extinct sabre-tooth cats and dire wolves. Nature Ecology & Evolution 1, Article number: 0131 (2017). doi:10.1038/s41559-017-0131
Publié dans : Mammifères fossiles
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Cet article est un régal. Et une forme de consolation : Homo sapiens n’est pas le seul à souffrir d’arthrose et à se faire mal au dos, évidemment pas pour les mêmes raisons. Ce site de la Brea est un vrai trésor et cette étude, bien retranscrite ici, s’avère passionnante.
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