Décidément les paresseux ont la cote en ce moment et ce n’est pas pour me déplaire. Tout le monde s’accordera pour dire que les paresseux sont cools, mais en fait la vraie question qu’il fallait se poser c’était : est-ce que les paresseux coulent ? Apparemment, certains coulent mais tout en restant cool … Eli Amson, un doctorant du laboratoire de l’équipe de paléontologie du Muséum d’Histoire Naturelle de Paris vient d’en faire la preuve.
On savait déjà que les paresseux actuels étaient d’assez bons nageurs, évidemment pas du genre à remporter des médailles de vitesse mais on leur reconnaitra tout de même un certain style (jugez plutôt ici https://www.youtube.com/watch?v=EN1Ws0JSd2U). Ce qui est plus surprenant en revanche c’est de réussir à montrer que des paresseux fossiles aient pu en faire de même ! Au milieu des années 90, les mœurs aquatiques de Thalassocnus, un genre éteint de paresseux péruvien, avaient fait sensation dans la communauté scientifique. Contrairement à ses cousins actuels qui, entre deux plongeons, passent la majeure partie de leur temps pendus dans les arbres, il semble que Thalassocnus passait le plus clair de son temps à batifoler dans la grande bleue. C’est en étudiant le contexte géologique et le mode de préservation des fossiles que cette interprétation avait été proposée pour la première fois. En effet, les restes de Thalassocnus étaient systématiquement retrouvés associés à des faunes marines (des baleines et des phoques notamment) et le plus souvent leur squelette avait préservé une certaine connexion anatomique qui suggérait que les os n’avaient pas été déplacés sur une longue distance (un comble de toute manière pour un paresseux mort). Des paresseux aquatiques ont d’ailleurs été découverts dans les incroyables cimetières marins chiliens récemment mis au jour dans des niveaux du Miocène supérieur du désert d’Atacama (quelques explications sur ce fabuleux gisement ici http://www.dailymotion.com/video/x1dnk3c_un-cimetiere-de-baleines-prehistoriques-decouvert-au-chili_animals).
Pourtant, pour quelques sceptiques, Thalassocnus nageait toujours entre deux eaux. Aussi, pour éviter que l’hypothèse d’un mode de vie aquatique ne tombe à l’eau, il fallait pouvoir démontrer que la sélection naturelle avait fait son œuvre. Or, dans la nature actuelle, une innovation morphologique clé semble avoir été acquise de manière convergente chez plusieurs espèces aquatiques. Alors que généralement les os d’animaux terrestres sont formés de deux parties, une externe compacte (corticale) et une cavité interne (cavité médullaire), les animaux aquatiques possèdent souvent des os très compacts parfois même sans cavité médullaire. Des os des membres et des côtes de Thalassocnus ont été scannés par microtomographie à rayons X pour révéler leur structure interne. Les chercheurs n’avaient plus qu’à retenir leur souffle et plonger le nez dans leurs données. Les premiers résultats coulaient de source, Thalassocnus possédait des os extrêmement denses, il était donc dans l’océan comme un poisson dans l’eau … Du dire des auteurs de l’étude, pas besoin de ceinture de plomb pour Thalassocnus, les os faisaient tout le travail. En raison de l’exceptionnelle richesse des séries sédimentaires péruviennes qui renfermaient ces restes, on sait également que cette compacité osseuse a été acquise en quelques millions d’années ; les cinq espèces de Thalassocnus qui se sont succédé dans les différentes couches datées de 8 à 4 millions d’années possédaient en effet des os de plus en plus compacts. Dans le même temps, des modifications de l’anatomie crânienne pourraient leur avoir permis de mieux exploiter la végétation marine qui les entourait.
Les paresseux font partis d’un groupe de mammifères sud-américains appelés xénarthres qui regroupe les paresseux, les fourmiliers et les tatous. Thalassocnus serait le seul représentant totalement aquatique de ce super-ordre de mammifères. Ce qui apparaît d’autant plus intéressant dans le cas de Thalassocnus, c’est que de nombreux xénarthres terrestres semblent montrer une certaine propension à développer des os relativement compacts (c’est le cas pour le fémur et le tibia du fourmilier présentés à gauche de la figure ci-dessous). Les auteurs de l’étude ont donc suggéré que, contrairement aux autres formes de mammifères aquatiques, la compacité des os de Thalassocnus fut d’abord sélectionnée à un tout autre dessein que celui de ballast et qu’en bon paresseux cette particularité anatomique fut de nouveau exploitée pour coloniser le milieu marin (le fameux concept d’exaptation si cher à Stephen Jay Gould).
Reste à savoir désormais si Thalassocnus avait développé d’autres traits morphologiques typiques de mammifères aquatiques, la perte de poils par exemple … Une vision d’horreur me traverse soudain l’esprit, des hordes de paresseux nus qui envahissent les plages dans le seul but de s’y reposer entre deux plongeons ! Encore une aberration de l’évolution …
Références :
- Amson E, de Muizon C, Laurin M, Argot C, de Buffrénil V. 2014. Gradual adaptation of bone structure to aquatic lifestyle in extinct sloths from Peru. Proceedings of the Royal Society B
- de Muizon C, McDonald HG. 1995 An aquatic sloth from the Pliocene of Peru. Nature 375, 224–227.
- de Muizon C, McDonald HG, Salas R, Urbina M. 2004 The evolution of feeding adaptations of the aquatic sloth Thalassocnus. J. Vertebr. Paleontol. 24, 398–410.
Publié dans : Amérique du Sud,Mammifères fossiles,Nouveautés
Les commentaires et les pings ne sont pas autorisés.
[...] Décidément les paresseux ont la cote en ce moment et ce n’est pas pour me déplaire. Tout le monde s’accordera pour dire que les paresseux sont cools, mais en fait la vraie question qu’il fallait se poser c’était : est-ce que les paresseux coulent ? [...]
« Une vision d’horreur me traverse soudain l’esprit, des hordes de paresseux nus qui envahissent les plages dans le seul but de s’y reposer entre deux plongeons ! »
Moi aussi ! et ce n’est pas la photo de JLL (qui ferait bien de se couper les ongles) dans sa piscine qui me rassure…
Pauvre rédac’ chef du Dinoblog !
Plus sérieusement : en cherchant la définition de l’exaptation sur mon moteur de recherche préféré, je suis tombé sur l’exemple des plumes de dinosaures. Je ne crois pas avoir vu d’article sur cet aspect de l’évolution des dinosaures sur ce blog. Vous pourrez développer la question un jour, entre 2 plongeons ?
M’enfin !