Après avoir rencontré un fossile de « fossile vivant » dans ce billet, découvrons maintenant un « fossile vivant » sans fossile. Pourquoi parler dans un blog consacré à la paléontologie d’une recherche qui ne traite pas de fossile ? Et bien parce que l’étude en question porte sur un poisson qui évolue visiblement lentement et qui, de ce fait, peut intéresser les amateurs de vie du passé que nous sommes. Voyons ça de plus près. Le 9 janvier 2014, la revue Nature publie le génome complet de la masca laboureur, ou Callorhinchus milii.
La masca laboureur est un étrange poisson cartilagineux marin mesurant jusqu’à 1.20 mètre de long qui vit le long des côtes du sud de l’Australie et de la Nouvelle Zélande, entre 0 et 200 mètres de profondeur. Elle possède une protubérance sur le museau, une forte épine à l’avant de sa nageoire dorsale, de larges nageoires pectorales et se nourrit essentiellement de mollusques. Mais est-ce que la masca harponne ses proies avec sa trompe ? Non, grâce à sa trompe électrosensible, la masca rade, voire laboure le fond de la mer à la recherche de petites bestioles.
La masca laboureur est donc une chimère, ou holocéphale, qui forme l’une des branches des poissons cartilagineux (les chondrichtyens), l’autre branche étant constituée des élasmobranches qui regroupent requins et raies. Que nous racontent les gènes de la masca laboureur (je répète son nom qui est trop joli et qui sonne tout de même mieux que ses versions anglaises, « elephant shark » ou « ghostshark ») ? D’une part, ils confirment que les poissons cartilagineux sont bien le groupe frère vivant des poissons osseux.
On s’en doutait déjà un peu sur la base de la morphologie, mais le démontrer à partir des gènes ne fait pas de mal et c’est classe ! Mais surtout, il apparaît que le taux de mutation de ses gènes est particulièrement bas, le plus faible connu parmi les vertébrés. Il est même plus lent que celui du fossile vivant par excellence, le cœlacanthe (oui, Nature ose le terme de « fossile vivant » dans le chapeau de l’article pour qualifier ce poisson). Bon, je ne m’étendrai pas une fois encore sur le terme de « fossile vivant » qui a été discuté à plusieurs reprise sur le DinOblog à propos du cœlacanthe (ici et ici) ou de certaines baleines (ici avec une discussion à la fin). Mais ce que je retiens ici, c’est que certaines lignées de l’arbre du vivant (ou plutôt du « buisson du vivant » car « la vie buissonne tel le genévrier rampant mais point ne s’élève comme l’altier séquoia » disait Laozi) évolue plus lentement que d’autres, que ce soit morphologiquement ou génétiquement. Ce qui m’intéresserait de connaître maintenant, ce sont les raisons de cette évolution pépère. Sont-ce des causes internes, physiologiques, ou sont-ce des facteurs environnementaux qui favorisent la lenteur de l’évolution de certains groupes ? Les auteurs de l’article posent la question sans y répondre. Autre point soulevé dans cet article : la masca laboureur possède un système immunitaire un peu plus simple que celui des autres vertébrés. Son gros « nez » ne serait-il alors pas causé par un rhume chronique chez une bête si sensible ?
Pour revenir au titre, qu’en est-il des fossiles de chimères ? Ils existent, bien sûr. Durant les derniers 250 millions d’années, leur registre fossile est constitué essentiellement de leurs plaques dentaires car ces poissons n’ont plus de dents individualisées dans leur mâchoire, mais des plaques très minéralisées (issues de la fusion des dents) qui leur permettent de broyer des proies coriaces et qui se fossilisent assez facilement.
Au Paléozoïque, le groupe des chimères était beaucoup plus diversifié et contenait des espèces aux formes extravagantes.
Référence
Venkatesh et al.2014. Elephant shark genome provides unique insights into gnathostome evolution. Nature 505, 174–179, doi:10.1038/nature12826
Publié dans : Evolution,fossiles vivants,Poissons fossiles
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Bonsoir,
Je n’aurais pas vu qu’on était le 1er avril ?
Parce que « le Masca harponne » ou « le Masca rade »… et j’en ai peut-être loupé…
Ce blog est de moins en moins sérieux…
Bien à vous,
PL
Vous avez raison c’est consternant… Et avec ses dents « hyperminéralisées » on peut penser que le masca raie.
Et dans les eaux de Maurice et de La Réunion, est-ce que le Masca règne ?…
Peut-être! Des cryptozoologues prétendent avoir trouvé sa trace au Mozambique sous la forme de masques africains. Peut-être une nouvelle espèce?
[...] Après avoir rencontré un fossile de « fossile vivant » dans ce billet, découvrons maintenant un « fossile vivant » sans fossile. Pourquoi parler dans un blog consacré à la paléontologie d’une recherche qui ne traite pas de fossile ? [...]
Bonjour, je me pose la question de savoir ce que veux dire la phrase « D’une part, ils confirment que les poissons cartilagineux sont bien le groupe frère vivant des poissons osseux. » Parce que l’arbre présenté ne contredit-il pas cette affirmation ?
Merci !
En utilisant le terme « poissons osseux » je sous-entendais « osteichthyes », un groupe qui contient les actinoptérygiens (perches, truites et autres hippocampes) et les sarcoptérygiens (les coelacanthes, les dipneustes et… les tétrapodes !). Cette utilisation du terme « poissons » est certainement maladroite (les tétrapodes, nous y compris, étant intégrés au sein des « poissons ») et j’aurais dû choisir une autre expression comme « vertébrés osseux actuels ». Mea culpa.
La question de fond, cependant, est que cette étude confirme la position des Chondrichthyes en groupe frère des Osteichthyes, et contredit d’autres hypothèses, par exemple celle qui suggère que les poissons cartilagineux sont le groupe frère des actinoptérygiens, l’ensemble étant lui-même le groupe frère des cœlacanthes (Rasmussen & Arnason, 1999).
La phylogénie est l’histoire d’une grande famille sans cesse recomposée, où genres frères et espèces sœurs n’arrêtent pas de s’échanger. La famille traditionnelle n’est plus ce qu’elle était…
Rasmussen, A.-S. & Arnason, U. 1999. Molecular studies suggest that cartilaginous fishes have a terminal position in the piscine tree. Proc. Natl. Acad. Sci. USA, 96, pp. 2177–2182,
Certes, les hypothèses d’Arnason et compagnie contredisaient celle plus « traditionnelle » qui persiste encore aujourd’hui…
Mais leur échantillonnage en terme de gènes utilisés (en l’occurrence, les gènes mitochondriaux) était trop faible, et surtout, pas adapté à des divergences aussi anciennes, ce qui minimise pas mal l’impact de leur étude
(d’ailleurs, ils ont « récidivé » quelques années après, avec un résultat très différent, mais tout autant fantaisiste par rapport aux données anatomiques)
Tout ça pour dire que le moléculaire, c’est bien beau, mais il faut savoir quelles données on utilise (à la décharge des auteurs en question, ils ont publié ça aux temps glorieux où la phylogénie moléculaire était encore en cours de développement)