Guillaume Asselin et Simon Sedlbauer sont archéologues au Pôle archéologique de Metz.
Et si on parlait jardinage… ou plus précisément d’archéologie préventive au pays de la mirabelle qui se mange et qui se boit (et qui fait mal à la tête si on en abuse…).
En amont de la construction d’un lotissement, dans la charmante ville de Manom en Moselle, non loin de la centrale nucléaire de Cattenom et de la frontière luxembourgeoise, un diagnostic archéologique a été réalisé « rue d’Alger » en 2016 par l’Inrap (Institut National d’Archéologie Préventive) (1). Comme une ancienne zone humide riche en céramique de l’âge du Bronze y a été détectée, une fouille a été prescrite par le Service Régionale d’Archéologie du Grand Est. Et comme le joli petit monde de l’archéologie préventive est un secteur concurrentiel depuis 2003, ce sont d’autres fonctionnaires qui ont réalisé cette fouille en 2017, notre équipe de Metz Métropole dirigée par Simon Sedlbauer.
En décapant cette zone humide, nous avons réalisé que cette mare s’articulait autour d’un surcreusement plus important, un puits.
Les parois en paliers assez marqués indiquaient vraisemblablement la volonté d’aménager une sorte de rampe permettant l’accès au surcreusement central où était installé le puits cuvelé. Un important creusement circulaire implanté à l’intérieur de la fosse d’accès, s’apparentait à un trou de poteau qui pourrait être mis en relation avec le puits à proprement parlé que ce soit au moment de son excavation ou dans le cadre de son utilisation. Peut-être s’agissait-il du négatif laissé par la mise en place d’un système de chèvre ou de balancier permettant de faciliter l’évacuation des terres lors du creusement et/ou le puisage de l’eau depuis les abords du puits.
Le choix d’implantation de ces structures est fortement influencé par la topographie spécifique des lieux. Ce puits, creusé sur les premiers reliefs qui dominent le cours de la Moselle en rive gauche distant d’environ 3 km, occupe l’axe d’un talweg à la déclivité peu marquée. Cette dépression est environnée, au sud, à l’ouest et au nord, par des terrains en pentes qui convergent vers ce point bas, drainant ainsi les eaux interstitielles du sous-sol mais également celles provenant de la surface par ruissellement.
Un premier creusement a été daté par C14 au début du Bronze final (1258 à 1049 av. J.-C. cal. 2 sigmas), tandis qu’une réfection avec un cuvelage en chêne a été daté du début du premier âge du Fer (Hallstatt, 781 à 511 av. J.-C. cal. 2 sigmas). Ce puits aurait donc fonctionné sur plusieurs siècles avec un éventuel hiatus de 200 à 500 ans durant la fin du Bronze final. Il a servi de dépotoir durant ces deux principales phases d’occupation, ces dates sont appuyées par les vestiges mis au jour lors de la fouille.
La présence de mobilier céramique, de nombreux galets brûlés, des fragments de meules et outils permettant leur ravivage ainsi que de faune (chien et bois de cerf) mis au rebut dans le puits de Manom impliquent incontestablement une certaine proximité d’un ou plusieurs habitats dont l’emplacement reste encore à découvrir. La nature de ces artefacts semble indiquer une occupation d’économie rurale avec des activités de mouture, le travail du textile ou encore peut-être le travail de la matière dure animale, en l’occurrence du bois de cerf. Pour l’occupation de l’âge du Fer, les études des pollens et des carporestes contenus dans les comblements encore humides du puits renvoient l’image d’un paysage peu anthropisé, lié à des activités agropastorales et un couvert forestier proche mais sans doute déjà dégradé par des défrichements répétés (2).
C’est bien beau tout ça, mais il s’agit toujours de jardinage, c’est le Dinoblog tout de même !! Oui, mais, notre équipe d’archéologues est aussi tombé sur un os. Pour être précis un fragment d’os peu impressionnant de 67x48x36 mm, mais lourd pour sa taille (153 g) car fossilisé… Cet os ne date pas de la Protohistoire, mais du Jurassique, il s’agit d’un fragment proximal d’humérus de plésiosaure. La tête humérale convexe et « rugueuse » ainsi que la crête delto-pectorale sont caractéristiques (3).
Les reptiles marins ne sont pas inconnus dans la région puisque, par exemple, Plesiosaurus dolichodeirus sévissait dans le Sinémurien de la Gaume en Belgique,(4) qu’un exemplaire de pliosaure lorrain, Simolestes keileni, est devenu un trésor national du Luxembourg (5) ou que la légende du célèbre dragon de Metz, le Graoully, a peut-être été inspirée par la découverte d’un ichtyosaure (6).
Mais alors, que diantre faisait cet os au milieu de tessons de céramique et autres artefacts protohistoriques ?
Nos éleveurs de l’âge du Bronze ou du Fer ont-ils rencontré cet os (et peut être la suite du squelette ?) quand ils ont creusé les niveaux géologiques pliensbachiens (marnes à Amaltheus margaritatus du Jurassique inférieur). Ensuite, nous pouvons rêver…
Cet os pétrifié aurait été conservé par un collectionneur de fossiles protohistorique, puis mis au rebus quelques temps plus tard ? Peut-être un jour l’habitat associé à ce puits sera également fouillé, suite à la construction galopante de lotissements anthropocènes, et trouvera-t-on la collection de ce fan de fossiles avant l’heure ?
PS : Ce billet est dédié à notre collègue et ami, Simon Sedlbauer, archéologue au Pôle archéologique de Metz, disparu trop vite en ce début d’année 2020.
Références :
(1) Petitdidier M.-P. 2016, Manom, Moselle, Rue d’Alger, le Domaine du Château, Rapport de diagnostic, Metz : INRAP.
(2) Sedlbauer S. avec la collaboration de Asselin G., Gauthier E., Jouanin G., Marquié S., Rousselet O. et Tegel W., 2019, Manom (57) « Rue d’Alger », 2017/01, Rapport d’opération Fouille archéologique, Metz : Pôle Archéologie Préventive de Metz Métropole.
(3) Identification Christian Pautrot (Société d’Histoire Naturelle de Moselle) et Dominique Delsate (Muséum d’Histoire Naturelle du Grand-Duché de Luxembourg)
(4) Godefroit P. 1995, Plesiosauria (Reptilia) sinémuriens de Lorraine belge, Bulletin de l’Institut Royal des sciences naturelles de Belgique, sciences de la Terre, 65, p. 165-178. En ligne : www.vliz.be/imisdocs/publications/255593.pdf
(5) Godefroit P. 1994, Simolestes keileni sp. nov„ un Pliosaure (Plesiosauria, Reptilia) du Baiocien supérieur de Lorraine (France), Bulletin des Académie et Société Lorraines des Sciences, 33- 2, p. 77-95. En ligne : http://documents.irevues.inist.fr/bitstream/handle/2042/32459/ALS_1994_33-2_77.pdf?sequence=1 Voir aussi : https://paperjam.lu/article/a-decouverte-monstres-marins-j
(6) Bellard A. 1966, Le Graoully de Metz à la lumière de la paléontologie, Mémoires de l’Académie de Metz, 1965-1966, p. 139-146. En ligne : http://documents.irevues.inist.fr/bitstream/handle/2042/34134/ANM_1965-1966_139.pdf?sequence=1
Publié dans : Nouveautés,Reptiles marins
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