Nous préparons depuis quelques mois au Musée des Dinosaures la première grande exposition qui révélera toute l’histoire de la bande dessinée dinosaurienne francophone depuis la fin du XIXe siècle jusqu’en 2019. Une vraie révélation car la quasi-totalité de ces très vieilles BD n’est connue pour l’instant que de quelques spécialistes de science-fiction ancienne, des membres du mythique Club des Savanturiers. La plus ancienne de toutes pourrait bien être due au talentueux Albert Robida (1848-1926). Le conditionnel est de mise car en matière de vieille BD, il arrive, comme vous allez le voir, qu’on ait quelques incertitudes de datation, ce qui au moins ne dépaysera pas les paléontologues. La planche de Robida qui nous intéresse, plaisamment intitulée Une bonne partie de chasse à l’Ere Tertiaire, a été publiée dans une des nombreuses revues humoristiques qui paraissaient alors, mais les meilleurs experts sollicités par nos soins n’ont pas encore déterminé laquelle. Il faut dire qu’il y en avait une sacrée tripotée : Le Rire, Le Pêle-Mele, L’Assiette au Beurre, La Caricature, etc. La fameuse planche n’est connue qu’isolée, dans un volume de défets conservé à la Bibliothèque Nationale de France et judicieusement numérisé et mis en ligne sur Gallica. Si, comme moi, vous ignoriez la signification du terme défet je vous dispense d’ouvrir votre wiktionnaire : il s’agit de « feuillets dépareillés d’un ouvrage d’édition, qui ne peuvent servir à former des exemplaires complets mais qui peuvent servir à compléter des exemplaires défectueux », bref des planches récupérées chez les imprimeurs par un certain Monsieur Jaquet entre 1870 et 1913. D’où l’incertitude, tant qu’on n’a pas retrouvé la publication contenant ladite planche. Un spécialiste de Robida m’a confié : « par rapport au style de dessin, ça pourrait être entre 1890 et 1905. »
Vous je ne sais pas, mais moi je fais confiance aux experts, va pour 1890-1905. Etant donné que la seconde « plus ancienne BD française avec des dinosaures » bien datée est de 1904 (vous pourrez bientôt venir la voir au musée des dinosaures…), il y a de fortes chances que Robida soit bien l’auteur de la première histoire en images de dinosaures en France (ne chipotez pas, les chances sont fortes).
Je me suis livré à une petite analyse paléontologique de ladite planche, qui narre, vous l’avez compris, les aventures d’un chasseur du dimanche dans une préhistoire de fantaisie où se mêlent dinosaures, ptérosaures, un grand mammifère tertiaire et un homme des cavernes muni d’un tromblon diablement efficace. Notre Tartarin antédiluvien dézingue dans l’ordre d’élégants ptérodactyles, un superbe dinosaurien, un rhamphorynque indiscret, un iguanodon et un dinoceras (notez l’inversion des légendes concernant les deux dernières bestioles). Bien sûr le « dinosaurien » et l’iguanodon diffèrent quelque peu des représentations dont nous avons l’habitude… Le premier est même carrément intrigant et appelle quelques éclaircissements : le « superbe dinosaurien » couvert d’épines est en fait… un stégosaure ! Il s’agit d’une représentation hypothétique du célèbre stégosaure, rapidement oubliée car fort erronée, parue en France en 1886 dans un ouvrage au succès considérable : Le Monde avant la création de l’Homme de Camille Flammarion. Ce dernier est ainsi (à ma connaissance) le seul auteur de vulgarisation français à avoir fait réaliser une illustration très particulière du dinosaure Stegosaurus. La première interprétation du paléontologue américain Marsh quand il découvrit Stegosaurus était que les plaques osseuses découvertes avec le squelette s’articulaient les unes aux autres pour former une carapace sur le corps du dinosaure, les longues épines osseuses associées étant insérées aux jonctions de ces plaques. Peu d’années plus tard, Marsh réalisa que ces plaques étaient en réalité insérées verticalement sur le dos de l’animal, alors que les épines ornaient le bout de sa queue, mais entre-temps quelques reconstitutions de sa première idée avaient été publiées – dont celle de Robida.
Le gros livre richement illustré de Flammarion racontant l’histoire de la vie sur la Terre a donc de toute évidence été la source d’inspiration du génial Robida, comme les illustrations de ce billet vous en convaincront. L’iguanodon de Robida avec sa corne sur le museau est aussi le petit frère de celui de Flammarion. Il semble donc que l’on puisse ajouter notre grain de sel à la recherche de la date de publication de l’œuvre : postérieure à celle de l’ouvrage de Flammarion. Notre fourchette d’âge va donc désormais de 1886 à 1905 : un lecteur nous apportera-t-il la date exacte de la publication de la plus vieille BD à dinosaures française ?
Merci à Laurent Antoine, Marc Madouraud, Jean-Luc Boutel, Jean-Yves Freyburger, Fleur Hopkins
Références :
La planche de Robida sur GALLICA https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b53120646q/f48.item
Exposition BULLES DE DINOS, bientôt au Musée des Dinosaures
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Bonjour Jean, et moi je sens le fuel ! hi hi
tu es en réserve pour un prochain billet causant de Rétrofictions avec quelqu’un que tu connais bien. Si je tire toutes mes cartouches d’un coup…