Une fois n’est pas coutume nous consacrerons ce billet à une note parue dans un journal que nous lisons trop rarement : l’International Journal of Astrobiology. Comme son nom l’indique cette revue scientifique très sérieuse est consacrée à la biologie extraterrestre. Leur sujet d’étude n’ayant pas encore été découvert, les astrobiologistes sont forcément des experts en matière d’hypothèse, la méthode ayant fatalement plus d’importance que les observations, en l’absence de matériel à observer. Notons que la paléontologie extraterrestre (que l’on baptisera astropaléontologie ou xénopaléontologie) relève également de l’astrobiologie. Hélas le xénofossile, humble cellule ou ET (celui de Spielberg) disparu, reste aussi à découvrir.
En attendant deux chercheurs américains se sont interrogés sur le type de trace qu’une civilisation industrielle telle que la nôtre est susceptible de laisser, après extinction, dans la stratigraphie d’une planète. La fossilisation étant un phénomène hautement aléatoire, nos astrobiologistes se sont plutôt interrogés sur la signature géochimique d’une civilisation dans les couches géologiques. Notons pour les experts que l’hypothèse silurienne (le titre de l’article dont on cause) fait ici référence à un épisode de l’illustre série télévisée britannique Dr Who où un réacteur atomique expérimental réveille une civilisation de reptiles intelligents du Silurien (443-419 Ma). Les auteurs de l’article qui nous intéresse aujourd’hui précisent qu’ils ne suggèrent pas que des reptiles intelligents aient pu exister au Silurien (les premiers reptiles apparaissant plutôt il y a 300 millions d’année vers la fin du Carbonifère, 100 millions d’années après la fin du Silurien, c’est en effet hautement improbable), ni que des expériences nucléaires aient pu être en mesure de les sortir de l’hibernation…
La question à laquelle cet article tente d’apporter une réponse est en fait la suivante : quelles traces géochimiques dans les couches géologiques d’une autre planète que nous explorerons un jour permettront de conclure à l’existence passée d’une civilisation intelligente sur ladite planète ? Pour y répondre les auteurs interrogent notre propre civilisation et ses marqueurs géologiques : quelles traces laisserons-nous qui seront encore observables ou mesurables dans quelques dizaines de millions d’années ? Pas de constructions ni d’objets manufacturés détruits depuis longtemps par l’érosion, par la subduction et tutti quanti. Mais certainement un pic de CO2 (du moins sa traduction géologique, c’est-à-dire davantage de C12 que de C13 dans les calcaires, soit un δC13 négatif), peut-être des couches de résidus de plastiques, sans doute un pic de Plutonium 244 si quelques zozos étoilés décident à un moment de s’envoyer des bombes atomiques pour régler leurs différends.
Ceci mis en place, et comme pour l’instant nous n’avons pas envoyé de géologues du côté de Proxima du Centaure, le mieux est de tester l’hypothèse sur les couches géologiques de la planète dont nous connaissons le mieux la géologie : la Terre. En d’autres termes une autre civilisation nous aurait-elle précédé sur cette bonne vieille planète comme de brillants auteurs de science-fiction l’ont conjecturé (on en a causé ici et ici) ? Pour y répondre suivons point par point la méthodologie proposée par nos auteurs, astrobiologistes travaillant pour la NASA et l’Université de Rochester : trouve-t-on dans la stratigraphie terrestre trace de plastiques ? Non. De Plutonium 244 ? Non plus. De pic de CO2 ? Ah là oui, par exemple lors du fameux maximum thermique Paléocène-Eocène dont on a parlé ici… En peut-être 5000 ans une quantité massive de CO2 a été injectée dans l’atmosphère, voici 56 millions d’années ! Serait-ce là le signal espéré ? Une espèce intelligente aurait-elle évolué au Paléocène, provoquant un réchauffement global à l’instar du premier Homo sapiens venu, avant de s’éteindre bêtement ? Malheureusement les brusques réchauffements du passé, qui sont dus à un apport subit de CO2 ou de CH4 (méthane) sont généralement contemporains d’épisodes de suractivité volcanique et/ou tectonique. Ceci suggère que c’est l’intrusion de magmas dans des argiles riches en matière organique (ou dans des évaporites saturées de pétrole) qui aurait entraîné le dégazage atmosphérique d’énormes quantités de gaz à effet de serre (CO2 ou CH4). Les réchauffements du Paléocène et d’autres périodes antérieures « ne constituent donc pas une preuve suffisante d’anciennes civilisations industrielles ». Saperlipopette !
Conclusions de nos savants : « de manière peut-être inhabituelle, les auteurs de cet article ne sont pas convaincus de la véracité de leur hypothèse. Fût-elle avérée, elle aurait de profondes implications et pas seulement sur l’astrobiologie (je veux mon neveu). La plupart des lecteurs n’ont pas besoin qu’on leur dise que c’est toujours une mauvaise idée de décider de la véracité ou de la fausseté d’une idée à partir des conséquences de cette idée si elle se révélait exacte. Bien que nous doutions fortement qu’une civilisation industrielle ait existé avant la nôtre, poser la question d’une manière formelle permet d’articuler explicitement à quoi pourraient ressembler les preuves de l’existence passée d’une telle civilisation. »
Quant aux archives paléontologiques terrestres elles ne fourmillent hélas pas d’exemples d’espèces en voie d’industrialisation, susceptibles de sauver l’hypothèse silurienne, à l’exception de quelques primates de ces derniers millions d’années. Voilà, aucune espèce intelligente ne nous a donc précédé sur Terre, la science l’affirme. Vous êtes déçus, la civilisation paléocène ça aurait eu de la gueule quand même ! Pour vous consoler un de ces jours je vous ferai une petite note sur les principales avancées de la xénopaléontologie…
Référence :
Schmidt GA, Frank A (2018). The Silurian hypothesis: would it be possible to detect an industrial civilization in the geological record? International Journal of Astrobiology 1–9. https://doi.org/10.1017/S1473550418000095
Publié dans : Crises biologiques,Nouveautés,Stratigraphie
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