Un bébé avançant à quatre pattes, ce n’est pas forcément une image qui laisse pantois. Mais quand il s’agit de dinosaures ornithopodes, et plus précisément d’hadrosaures (les célèbres « becs de canard ») ce n’est pas l’hypothèse privilégiée jusqu’à maintenant : on suppose en effet que si les adultes, qui pouvaient peser plusieurs tonnes, étaient quadrupèdes, les jeunes se déplaçaient sur leurs pattes postérieures jusqu’à atteindre un certain poids à partir duquel ils basculaient sur quatre pattes. Ces considérations sont basées sur l’examen de nombreux ossements désarticulés du dinosaure américain Maiasaura dont on connaît les restes de jeunes et d’adultes. Et l’on a eu tendance, ces derniers années, à généraliser cette idée à l’ensemble des hadrosaures, voire des gros ornithopodes. Mais Maiasaura était-il représentatif de l’ensemble des hadrosaures ? Deux découvertes américaines ont quelque peu bousculé cet élégant concept ces derniers mois. La première est une découverte d’empreintes de pas d’un tout petit hadrosaure d’Alaska ; la seconde celle du squelette d’un bébé edmontosaure au Montana.
C’est en pleine montagne dans un parc national d’Alaska qu’ont été découvertes deux jolies petites empreintes d’un hadrosaure de la toute fin du Crétacé (vers 70 millions d’années). Une trace de pied longue d’onze centimètres est accompagnée d’une toute petite trace de main large de 3.6 cm et longue de 2.5 cm. Les chercheurs ont attribué ces traces à l’ichnogenre Hadrosauropus, lequel, comme son nom l’indique, rassemble des traces de pied attribuées à des hadrosaures. Ca peut sembler un peu maigrichon comme trouvaille mais ça prouve sans contestation possible que la bestiole, dont la longueur est estimée à 1.65 m, se déplaçait à 4 pattes, comme les adultes de plus de 10 mètres de long. Notons que l’Alaska était à peu près à la même latitude qu’aujourd’hui en ces temps reculés, et donc qu’il y faisait froid, et même que ça caillait grave pour nos pauvres ch’tites bêtes…
Edmontosaurus est un dinosaure extrêmement abondant à la toute fin du Crétacé en Amérique du Nord. Les adultes frôlaient les 7 tonnes et dépassaient les 12 mètres, et le plus petit specimen « presque entier » qui vient d’être trouvé au Montana aurait pesé 14 kilos pour 70 cm de long. Edmontosaurus a un magnifique bec de canard et portait un délicat petit chapeau de chair sur le chef (voir ici). 14 kilos c’est une jolie dinde et c’est beaucoup plus léger que le précédent « plus petit squelette articulé d’Edmontosaurus » qui en pesait près de 800. C’est donc une magnifique occasion de voir comment se transforme le squelette d’un edmontosaure au cours de sa croissance, et, pour le point qui nous intéresse aujourd’hui, de voir si la longueur des bras reste proportionnelle à celle des jambes quand l’animal grandit. Car l’idée avancée jusqu’ici était que ces bras devenaient progressivement plus longs par rapport aux jambes au cours de la croissance, d’où le passage à quatre pattes au bout d’un moment. Le joli bébé hadrosaure du Montana devait répondre à cette passionnante question sauf… qu’il n’a pas de bras (ni de chocolat hélas). Du moins, les bras ne sont pas conservés (le crâne non plus, c’est ce que l’on appellera donc un squelette « presque entier »). Dommage ! Mais cette déception originelle n’a pas émoussé l’ardeur de nos savants collègues qui ont calculé la manière dont se développent les différents os des membres chez des dizaines d’edmontosaures de toutes tailles. Et ils ont trouvé une relation isométrique, c’est-à-dire que les proportions des différents os entre eux sont les mêmes chez les jeunes et chez les adultes. L’humérus ne croît pas plus vite que le fémur, et donc les proportions des membres ne changeaient pas, ou peu, au cours de la croissance. Un bébé edmontosaure ayant les mêmes proportions que sa maman, on peut supposer qu’il se déplaçait comme elle, à quatre pattes, tel le premier bébé humain venu (enfin, avec infiniment plus de grâce, bien sûr) ; Mais l’on regrettera longtemps l’absence des bras sur le plus petit fossile de la série.
Cette idée est évidemment confortée par les empreintes d’Alaska, mais aussi par d’autres traces quadrupèdes de petits ornithopodes, comme par exemple dans le Crétacé inférieur de Thaïlande. La quadrupédie était sans doute très répandue chez les ornithopodes, ce qui n’empêcha probablement pas certaines espèces, comme Maiasaura, de se promener sur deux pattes dans leur jeune temps. Mais pour confirmer cela, il vaut mieux disposer de quelques dizaines de squelettes articulés à tous les stades de la croissance (ce n’est pas le cas chez Maiasaura), autant dire que la généralisation d’un de ces deux concepts locomoteurs à toutes les espèces d’hadrosaures, ce n’est pas pour demain… Au passage l’on constatera qu’accroître les collections des muséums de dizaines de squelettes de la même espèce n’est pas un exercice vain : disposer d’échantillons conséquents est la seule façon de répondre à bon nombre de questions sur la paléobiologie des dinosaures.
Références :
Fiorillo, A. R., and R. S. Tykoski. 2016. Small hadrosaur manus and pes tracks from the Lower Cantwell Formation (Upper Cretaceous) Denali National Park, Alaska: implications for locomotion in juvenile hadrosaurs. Palaios 31:479–482.
Mateusz Wosik, Mark B. Goodwin & David C. Evans (2018): A nestling-sized
skeleton of Edmontosaurus (Ornithischia, Hadrosauridae) from the Hell Creek Formation of
northeastern Montana, U.S.A., with an analysis of ontogenetic limb allometry, Journal of Vertebrate Paleontology, DOI: 10.1080/02724634.2017.1398168
Publié dans : Amérique du Nord,Nouveautés,Ornithopode,Paléoichnologie
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