Trois Mammifères planeurs d’âge Jurassique (160 ma) découverts en Chine dans les Provinces de Liaoning et Hebei viennent de nous être révélés (1, 2, 3). Ils sont donc plus anciens que le Volaticotherium d’âge Crétacé (125 ma) décrit voici une dizaine d’années (4). Décidément, les Mammifères de ces temps souvent qualifiés de primitifs avaient des aptitudes aussi inattendues que remarquables. D’autant que c’est probablement de nuit ( http://www.scilogs.fr/histoires-de-mammiferes/mammiferes-dinosaures-nuit-jour/) que ces petites bêtes poilues à sang chaud s’élançaient dans les airs pour soit gagner les futaies et se nourrir de bourgeons, de fruits frais ou graines, soit rejoindre un partenaire et se reproduire, à moins que tout simplement ce fut pour se baguenauder en prêtant oreille au doux (?) ronflement des Dinosaures à écailles ou plumes assoupis à leurs pieds, et dont ils n’avaient à cette heure rien à craindre.
Les Mammifères planeurs d’aujourd’hui poilus et à sang chaud sont très divers d’origine et on en compte 65 espèces : des Marsupiaux d’Australie, et des Placentaires dont les dermoptères (colugo) et différents rongeurs, écureuils et anomalures. Dans le passé, on sait que d’autres rongeurs, un loir et un éomyidé du Miocène avaient les mêmes aptitudes. Quant à Volaticotherium du Crétacé, Maiopatagium, Vilivelodon et Arboroharamiyida du Jurassique, ils ont eu le même parcours adaptatif mais appartiennent à des lignées de Mammaliformes qui n’ont laissé aucune descendance directe (5). Tous ont eu et ont encore les mêmes horaires nocturnes. Mais le plus étonnant est de constater qu’au plan anatomique, les uns et les autres, bien que très éloignés au plan phylogénétique, tous ont néanmoins adopté des solutions anatomiques très voisines pour s’adonner à leur sport favori. Et ce par delà les temps géologiques, à des millions d’années de distance, et jusqu’au Jurassique et au Crétacé. Alors Convergence, quelle en est ta recette ? C’est certainement l’une des questions que les évolutionnistes darwiniens préfèrent aborder…mais sans illusion !
Planer n’est pas voler. Lorsque l’animal plus lourd que l’air s’élance d’une hauteur, aucun mouvement musculaire durant son périple ne tente de le prolonger. Profitant de l’action conjuguée de la gravité et des courants de portance, il n’a que peu de chance de rejoindre un point de chute plus élevé que son point de départ. Il n’empêche qu’il doit sur son parcours éviter les obstacles et les ennemis, se diriger souvent de nuit, pour au final atterrir sur le perchoir visé où l’attend un copain ou une copine, une aire de repos ou de nourrissage, et peut-être une famille à qui il apporte pitance. Ses premiers outils « physiques » qu’il a développés avant de s’élancer sont une voilure appropriée qui assure sa portance dans les airs, et un train d’atterrissage idoine pour s’agripper en temps utile à l’aire de repos choisie. Mais il y a aussi les instruments de navigation : vision nocturne, repérage par GPS par les fonctions conjuguées de l’audition et des émissions d’ondes sonores l’aideront à se déplacer sans encombre à travers la forêt et ses embuches. L’un des experts dans cet art de planer à l’insu de tous est l’écureuil volant ou polatouche d’Amérique du Nord https://www.youtube.com/watch?v=1-FHzf4xnWw
Les aptitudes requises pour de tels exploits nous apparaissaient jusqu’il y a peu inaccessibles aux ci-devant Mammifères déclarés primitifs de naissance car nés au Secondaire, l’âge des Reptiles ! Ceux là même qui ont précédé nos ancêtres d’une bonne centaine de millions d’années. Pourtant au fil des découvertes, cette idée reçue a pris plus d’un plomb dans l’aile, c’est le cas de le dire. Le Jurassique s’est enrichi brutalement d’une galerie de portraits de Mammifères aussi divers que surprenants par la diversité de leurs adaptations , comme j’ai déjà eu l’occasion de le signaler dans ces colonnes : http://www.dinosauria.org/blog/2015/10/05/au-jurassique-les-mammiferes-seclatent/#more-3172
Trois nouveaux venus, tous planeurs émérites, sont venus récemment enrichir le bestiaire mammalien du Jurassique. C’est à nouveau les gisements du Liaoning et d’Hebei qui les ont livrés, ceux là même qui ont révélés outre des dinosaures très ordinaires, des dinosaures à plumes, toute une galerie de vertébrés et insectes qui vivaient dans ces forêts de grandes fougères, pinèdes, ginkgos et où sont apparus les premières plantes à fleurs.
Le premier est Maiopatagium (=mère+membrane) furculiferum (=clavicule et interclavicuke suturées, de même aspect et convergente avec la furcula -fourchette – des oiseaux). Comme illustré ci-dessous, ce subterfuge anatomique imite la « fourchette » des oiseaux bien connue des gourmands et parieurs, et a même fonction que chez la gent ailée : arrimer fortement à la colonne vertébrale les membres antérieurs.
Le squelette quasi complet de ce fossile apparaît sur une plaque entouré en auréole du halo généré par son pelage qui témoigne de la présence d’une membrane alaire (patagium) qui se déployait en parachute lorsque l’animal s’élançait de branche en branche. Ce patagium est un organe en tout point semblable à celui des mammifères planeurs actuels, et on peut distinguer le plagiopatagium au milieu du corps entre pattes et tronc, le protopatagium qui s’étend du bas des joues jusqu’aux coudes, l’uropatagium du pelvis à la queue. L’ensemble de cette voilure forme donc un organe complexe, presque autant que celui des planeurs actuels, à quelques détails près.
L’autre mammifère planeur quasi contemporain a été dénommé Vilevolodon (=Mammifère planeur) diplomylos (=molaire avec deux rangées de cuspides). Il est tout aussi bien conservé et a le même type de clavicule. Sa membrane alaire est aussi visible et tout aussi complexe que celle de Maiopatagium. La principale différence entre les deux espèces est que les doigts des mains et pieds de ce dernier sont allongés et lui permettaient à la fois d’étendre sa membrane alaire, et aussi de mieux s’agripper aux branchages que ne le pouvait Vilevolodon dont les pieds et mains sont courts, mais robustes.
Et puis les dentures de l’un et l’autre diffèrent. Les deux étaient végétariens mais ne se régalaient pas des mêmes plats végan. En effet le premier possédait des molaires faites pour presser bourgeons ou pousses fraiches alors que celles de Vilivolodon pouvaient broyer des graines et coques.
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On voit ci-dessous les reconstitutions qui ont été faites des deux bêtes dans leur milieu. Les Maiopatagium planent d’un gingko l’autre pour en grignoter les graines, alors qu’une maman accueille sa nichée dans sa membrane alaire et circule dans la ramée se soutenant aux branches grâce à ses doigts déliés. Vilevolodon s’agrippe aux frondes d’une fougère (Bennethiale) et se délecte de ses bourgeons.
Le planeur jurassique le plus récemment découvert a été nommé Arboroharamiya (Haramyida arboricole) allinhopsoni (dédié à Allin et Hopson, grands spécialistes de l’audition chez les Mammifères). Comme ses prédécesseurs, il possède une membrane alaire qui lui permettait d’aller de perchoir en perchoir, et l’on note qu’il avait une très longue queue. Mais le grand intérêt de ce fossile est qu’il nous révèle avec précision l’anatomie de son oreille moyenne et interne, et il s’avère que Arboroharamyida possède un appareil auditif très performant et unique. Il est composé de 5 éléments osseux : l’étrier, l’enclume, le marteau, l’ectotympanique et le surangulaire. Par sa complexité, on peut envisager que cette chaine d’osselets de l’oreille moyenne avait des aptitudes de réception des ondes sonores particulièrement performantes. En particulier la présence du surangulaire est plus que notable chez un mammifère de cet âge, exceptionnelle et permet de supposer que ce petit arboricole avait des aptitudes auditives hors du commun.
Comme précisé plus haut, ces trois espèces appartiennent comme Volaticotherium à des clades de Mammaliformes qui n’ont laissé aucune descendance et sont cantonnés au Mésozoïque. Il n’empêche que leur équipement anatomique est très moderne ! La question en suspens est celle de leurs aptitudes auditives : on envisage que ces animaux étaient nocturnes et qu’ils savaient évoluer et se diriger dans les forêts d’alors. Mais pour l’heure, nous ne pouvons guère que spéculer sur leurs aptitudes à se déplacer dans l’espace. Etaient-ils capables des mêmes performances que nos planeurs des temps modernes ? Avaient-ils un appareil auditif qui leur permettait de se situer dans l’espace et savaient ils éviter les obstacles ? Nous l’ignorons.
Pour autant nous ne pouvons rester aveugles : l’acquisition d’un ancrage claviculaire solide pour les membres antérieurs et la formation d’un patagium de même design par delà les temps géologiques, d’une chaine d’osselets de l’oreille moyenne complexe, voilà qui mérite que l’on s’y arrête et qu’on approfondisse le sujet.
Ce problème de la convergence est un si beau sujet de réflexion que dans une autre chronique j’aborde ce sujet grâce à l’exemple des dauphins d’eau douce : http://www.scilogs.fr/histoires-de-mammiferes/pourquoi-les-dauphins-deau-douce-ont-ils-la-meme-trombine/. Dans leur cas, c’est leur museau qui nous intéresse : bien que très éloignés au plan phylogénétique, les quatre genres de cétacés qui vivent aux quatre coins du globe ont la même trombine, le même profil zoométrique ! Quelles réponses morphogénétiques pouvons nous apporter à ce type de convergence ?
Références
1) Meng Q.-J. et al. New gliding mammaliaforms from the Jurassic. nature23476 (2017). Nature http://dx.doi.org/10.1038/
2) Luo, Z.-X. et al. New evidence for mammaliaform ear evolution and feeding adaptation in a Jurassic ecosystem. nature23483 (2017). Nature http://dx.doi.org/10.1038/).
3) Gang Han et al. 2017. A Jurassic gliding euharamiyidan mammal with an ear of five auditory bones Nature 551, 451–456 (23 November 2017) doi:10.1038/nature24483
4) Meng J, Hu Y-M, Wang Y-Q, Li C-K. 2006. A Mesozoic gliding mammal from northeastern China. Nature 444:889–93
5) Les Chauve souris ont un vol battu comme les oiseaux et donc ne sont pas prises en compte dans cette revue.
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