Retour sur ce Psittacosaurus dont nous évoquâmes les fantastiques poils de la queue la semaine dernière. Ce fossile chinois, exposé au Muséum de Francfort-sur-le-Main, est en effet extraordinairement conservé, une grande partie de sa peau étant exposée, préservée sous la forme de phosphates de calcium issus des sels minéraux contenus dans les écailles. Ce « film » de peau recouvre tout le spécimen, y compris les os, mais une partie a été enlevée lors de la préparation initiale avant que quelqu’un ne fasse comprendre au préparateur que le squelette de ce dix millième psittacosaure n’avait aucun intérêt et qu’en revanche sa peau, ben, si ! « Wang si tu continues à bousiller la peau de ce psittaco je te transforme en nems illico ! »
La teinte de cette peau fossile varie selon les endroits du corps : il y a ainsi une très nette différence de pigmentation entre la partie ventrale de l’animal (sous le ventre et sous la queue) qui est très claire et la partie dorsale fortement colorée. De la mélanine a été conservée : des mélanosomes sont observables au microscope électronique plus précisément des phaenomélanosomes ovoïdes. La couleur originelle de l’animal devait donc être dans les marrons à brun rouge. Ventre clair et dos sombre, c’est une caractéristique assez courante chez les animaux actuels, et c’est une stratégie de camouflage connue sous le nom de contre-tonalité de Thayer. Le principe de ce mode de camouflage consiste à une gradation progressive de la coloration de l’animal, les parties habituellement les plus éclairées étant aussi les plus colorées, et inversement. Etant de ce fait moins contrastées, zones d’ombre et de lumière ont alors tendance à se confondre à la vue de l’observateur, et l’animal est moins visible (Jean-François Bouvet, La stratégie du caméléon, Seuil, 2000)
Dans les habitats ouverts (savane, etc.) la partie claire remonte largement sur les côtés de l’animal alors que dans les habitats forestiers seule la partie ventrale est dépigmentée. C’est le cas de notre psittacosaure, bien foncé sur les côtés, et il est donc tout à fait probable que la bestiole fréquentait des habitats fermés et ne prenait guère le soleil.
Quelques détails passionnants : la zone du cloaque, quoique ventrale, est fortement pigmentée, ces tissus étant riches en mélanine dont les propriétés anti-microbiennes sont bien connues. Et à l’autre extrémité du psittacosaure des tissus kératinisés sombres sont présents au niveau des pointes jugales du crâne, confirmant que les psittacosaures avaient de vraies petites cornes sur les joues. La tête était également très sombre dans son ensemble et quelques grosses écailles sombres décoraient le torse et les épaules. Des cornes sur les joues, du poil sur la queue, des tatouages sur les épaules, on n’est pas venus pour rien ! Un vrai petit monstre comme on les aime…
Quant au titre de ce billet, emprunté à une chanson de Renaud pleine de poésie, il mérite quelques explications finales. « Marche à l’ombre » fait évidemment allusion au destin du psittacosaure, voué à hanter les sous-bois crétacés d’Asie. Mais « Casse-toi tu pues » ? Pourquoi jeté-je ainsi l’anathème sur les odeurs corporelles de cet inoffensif ornithischien ? Puait-il le bouc ? Schlinguait-il vraiment si grave ? Emboucanait-il les taillis ? Fouettait-il à ce point, pauvre chou ? Et bien l’on n’en sait rien. Car si la couleur des dinosaures n’est plus une information inatteignable depuis quelques années, leur odeur reste encore au-delà des frontières de l’investigation scientifique d’aujourd’hui.
Références :
Vinther, Jakob, Nicholls, Robert, Lautenschlager, Stephen, Pittman, Michael, Kaye, Thomas G. Rayfield, Emily, Mayr, Gerard, Cuthill, Innes C. 2016. « 3D Camouflage in an Ornithischian Dinosaur » (PDF). Current Biology. 26: 1–7. doi:10.1016/j.cub.2016.06.065.
Publié dans : Asie,Nouveautés,Ornithischien
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