La fréquentation quotidienne d’un pré-ado est l’occasion de découvertes capitales. Dans mon cas, le pré-ado domestique m’a permis de (re)faire connaissance avec le film « Back to the Future » d’une part et de découvrir le monde des animaux du futur d’autre part. « Back to the future » est un film des années 1980 qui vient de faire parler de lui car le futur des années 1980, précisément le 21 octobre 2015, vient récemment de se transformer en passé… On y parle du fameux paradoxe temporel « si je retourne dans le passé et tue mon grand-père, que se passera-t-il pour moi ? » et autres galéjades du même genre. L’autre source d’émerveillement transmise par ma progéniture est les animaux du futur, ceux de la série télé et ceux du livre de Marc Boulay et Sébastien Steyer (aux éditions Belin). Ainsi l’argentide et le suceur-sauteur sont devenus pour nous des êtres aussi réels que le grand panda et le bubale de Coke, voire même un peu plus. Toute cette introduction pour vous parler de la bête du jour : le Tullimonstrum gregarium ! Rien de tel pour mieux décrire l’animal que de présenter sa plus récente reconstitution.
L’animal, nommé en 1966 puis rapidement devenu le fossile-emblème de l’Etat de l’Illinois, est demeuré une énigme zoologique pendant 50 ans. Il est pourtant connu par de nombreux fossiles (comme l’indique son nom d’espèce) qui proviennent tous de la Formation de Mazon Creek dans l’Illinois datée du Carbonifère supérieur, formation dans laquelle sont souvent préservés les tissus mous des organismes. Le monstre de Tully (M. Francis Tully est son découvreur) a été rapproché des vers, des mollusques, des arthropodes et des conodontes. Il ne manque à cette liste que la famille des personatocucurbitacées et l’ordre des rhinogrades (une appartenance envisageable au vu de l’animal).
Une étude récente menée par Victoria McCoy de l’Université de Yale dans le Connecticut et ses collègues (McCoy et al., 2016) prétend avoir résolu l’énigme de manière définitive (mais que signifie « définitif » en science ?) : Tullimonstrum est un vertébré ! Cette conclusion repose notamment sur l’identification d’une longue structure qui parcourt le corps comme étant la notocorde (la structure à l’origine de la colonne vertébrale), alors qu’on l’interprétait précédemment comme un tube digestif (le véritable tube digestif a par ailleurs été également identifié). L’animal présente de nombreux caractères partagés avec les vertébrés au sens large, et plus particulièrement avec les plus « primitifs » d’entre eux, les vertébrés sans mâchoire que sont les lamproies. Ces « suceurs de pierre » – il s’agit de la signification latine de Lampetra et de la signification grecque de Petromyzon, deux genres de lamproies actuelles – partagent avec Tullimonstrum la présence d’arcualia (des sortes de « proto-vertèbres » cartilagineuses), une nageoire dorsale, une queue asymétrique, des dents kératineuses entre autres caractères. Mais ce qui fait de Tullimonstrum un monstre, ce sont ses caractéristiques propres et plutôt étonnantes. L’animal dispose, par exemple, d’une sorte de long appendice à l’avant du corps, décrit généralement comme une trompe mais qui fonctionnait plutôt comme un bras articulé terminé par une sorte de pince garnie de petite dents en crochet. Plus étrange encore, les yeux sont situés aux extrémités d’une barre rigide portée transversalement au-dessus de la tête. Cette disposition est certainement en lien avec la présence du bras articulé car, comme pourrait dire le proverbe, « pour surveiller ce qui se trame au bout de ta pince, écarte tes bésicles».
Les auteurs de l’article comparent l’étrange disposition des yeux avec celle des larves de poissons dragons (Idiacanthus) et celle des requins marteaux (Sphyrna), deux poissons chez qui les orbites ont une furieuse tendance à s’éloigner l’une de l’autre. La comparaison fonctionnelle avec la larve de poisson dragon paraît justifiée dans la mesure où dans les deux cas il s’agit d’élargir le champ de vision, ou éventuellement acquérir une vision stéréoscopique. Dans le cas du requin marteau, cependant, la comparaison est moins évidente car chez eux, l’élargissement de la tête est probablement lié à une meilleure efficacité des ampoules de Lorenzini, des organes électrosensibles qui permettent de localiser les proies (à ce propos, une structure un peu similaire, mais convergente, a été signalée récemment chez un requin du Crétacé par nos collègues Romain Vullo et Guillaume Guinot [Vullo & Guinot, 2015 et Vullo et al., 2016]).
Si l’on suit les conclusions de cette étude, le monstre de Tully est donc une sorte de « pinceur de pierres » proche de nos « suceurs de pierres » actuels. Mais moi et mon âme d’enfant, nous trouvons qu’il a aussi sa place à côté des argentides, des calamars arc-en-ciel et autres oissons, autant d’animaux du futur qui seraient retournés dans le passé.
PS : Dan Chure raconte sur son site « Land of Dead » une jolie histoire de cryptozoologie humoristique à propos du Monstre de Tully. Après la description scientifique de Tullimonstrum et la publication d’articles de vulgarisation par Eugene Richardson du Field Museum, ce dernier reçu plusieurs courriers provenant du Kenya lui signalant l’existence d’un vers ressemblant à Tullimonstrum qui nage (voire danse les soirs de pleine lune) dans les eaux du lac Turkana. Il s’avéra que ces lettres étaient écrites par une même et unique personne qui n’était autre que le paléontologue spécialiste des mammifères, Bryan Patterson. Ce dernier enverra plus tard une photo de lui tenant à la main un soi-disant Tullimonstrum. Patterson ne chercha pas à faire passer sa « fraude » pour une réalité mais juste pour une plaisanterie entre paléontologues. Quels boute-en-train ceux-là !
Références :
McCoy, V.E., Saupe, E.E., Lamsdell, J.C., Tarhan, L.G., McMahon, S., Lidgard, S., Mayer, P., Whalen, C.D. Carmen Soriano, Finney, L., Vogt, S., Clark, e.G., Anderson, R.P., Petermann, H., Locatelli, E.R., Briggs, D.E.G. 2016. The ‘Tully monster’ is a vertebrate. Nature, 2016; DOI : ici
Vullo, R., Guinot, G. & Barbe, G. 2016 The first articulated specimen of the Cretaceous mackerel shark Haimirichia amonensis gen. nov. (Haimirichiidae fam. nov.) reveals a novel ecomorphological adaptation within the Lamniformes (Elasmobranchii). Journal of Systematic Palaeontology, 2016 ici
Vullo, R. & Guinot, G. 2015. Denticle-embedded ampullary organs in a Cretaceous shark provide unique insight into the evolution of elasmobranch electroreceptors. Sci Nat (2015) 102:65 DOI 10.1007/s00114-015-1315-2
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Publié dans : Amérique du Nord
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[...] La fréquentation quotidienne d’un pré-ado est l’occasion de découvertes capitales. Dans mon cas, le pré-ado domestique m’a permis de (re)faire connaissance avec le film « Back to the Future » d’une part et de découvrir le monde des animaux du futur d’autre part. [...]
Très bon article, Lionel ! Un petit détail d’ordre grammatical, une erreur extrêmement répandue mais quasi-ignorée de tout le monde : l’expression « voire même » est un pléonasme. On devrait écrire soit l’un de ces deux mots soit l’autre… mais jamais les additionner car c’est alors une erreur de grammaire, le mot « voire » signifiant déjà à lui seul « … et même… ». Quand on l’utilise il faut donc l’utiliser seul, sans ajouter « même ».
Voilà. Ce n’était qu’un petit détail.
Très cordialement!
Jacques
J’adore ! Un vrai pince-bête.
Mais que faisait Crocodile Dundee dans « Back to the future » ??