Décidément, les Mammifères du Mésozoïque ne cessent de nous épater, et on découvre chaque jour un peu plus qu’ils savaient faire face à bien des situations, trouver des solutions, et en un mot s’adapter. Qui oserait aujourd’hui encore les qualifier de primitifs, comme ce fut longtemps le cas dans bien des manuels ?
Il y a peu on nous a montrés ici même des Docodontes planeurs et insectivores, nageurs et piscivores, acrobates dans les arbres et amateurs de fruits, fouisseurs et mangeurs de termites. Auparavant on avait eu connaissance des Triconodontes charognards et carnivores, et le ci devant Repenomanus avait dans l’estomac des restes de dinosaure, petit il est vrai mais sans doute de bon goût. De surcroit, il ne faut pas oublier qu’a vécu au Secondaire toute une foule diversifiée de Mammifères disparus depuis, les Multituberculés. Equipés d’incisives puissantes, de molaires en hachoir et broyeuses, ils ont rongé à qui mieux mieux des millions d’années durant dans les sous bois de fougères, pinèdes, ginkgos et enfin d’angiospermes du Jurassique et du Crétacé, sous toutes les latitudes. Ils ont même réussi l’exploit d’échapper à la météorite tueuse de dinosaures de la fin du Crétacé, et survivre et prospérer jusqu’à l’Eocène.
Cet éventail des adaptations multiples que l’on a répertorié chez les Mammifères du Secondaire s’enrichit aujourd’hui d’un nouveau talent : on nous signale en Espagne un petit insectivore qui portait épines et avait le bas du dos renforcé, sans doute pour se glisser entre écorce et tronc afin d’y débusquer les animalcules qui y trouvent refuge et s’en repaître.
Le fossile provient du gisement du Crétacé inférieur (125 ma) de Las Hoyas, près de Cuenca dans le centre est de l’Espagne. Ce site fait de calcaire lithographique a déjà livré quelques spécimens d’exception : poissons, dinosaures, mollusques, insectes et plantes et on peut avoir une idée de ses richesses paléontologiques ici.
En 2005, une plaque de calcaire a révélé un squelette de mammifère presque complet, entouré de sa fourrure, dont des épines qui recouvraient en partie le corps, ainsi que les traces de certains organes internes. Surpris par la mort dans son sommeil, il est replié sur lui-même, en boule, et on peut voir que ses vertèbres dorsales sont renforcées par des apophyses engrenées (1). Nommé Spinolestes xenarthrosus, l’animal mesurait 24 cm de long et pesait entre 50 et 70 grammes. Il appartient au groupe primitif des Triconodontes, Mammaliaformes dont les molaires ont trois cuspides et une articulation de la mâchoire primitive. Présents sur tous les continents depuis le Trias, les Triconodontes n’ont laissé aucune descendance et s’éteignent au Crétacé supérieur.
L’étymologie de Spinolestes xenarthrosus évoque d’une part la présence d’épines dans son pelage et d’autre part ses vertèbres dorsales assez comparables à celles des actuels Xénarthres (tatous) ou de l’insectivore Scutisorex, la musaraigne blindée du Congo. Des apophyses articulaires surnuméraires renforcent le système d’engrenage des vertèbres du dos. C’est ainsi que la musaraigne du Congo avec le même équipement anatomique est capable de se glisser sous les écailles d’écorce des palmiers où elle vit, les soulever afin d’y débusquer les insectes qui s’y réfugient.
Le spécimen de Las Hoyas est dans un état de conservation remarquable : une oreille est visible, préservée en partie, ainsi que certains des organes internes (poumon, foie, viscère). La fourrure forme un halo et il y a même conservés des paquets de poils que l’on peut étudier dans le moindre détail : d’évidence l’animal était affecté d’un type de mycose fréquente chez les mammifères actuels dénommée dermatophytose, due à un champignon friand de kératine. En outre, on note aussi que certains des poils sont épaissis et constituent de véritables épines, comme chez le hérisson, et on a pu aussi identifier dans le pelage des écailles de kératine comme on en trouve aujourd’hui dans le derme des pangolins et des tatous. On peut en déduire que Spinolestes était une proie particulièrement indigeste pour tous ses contemporains, qu’ils fussent reptiles, oiseaux ou, pourquoi pas, mammifères de même poil.
La variété des adaptations que l’on a pu enregistrer chez les Mammifères du Secondaire éclaire d’un jour nouveau leur histoire. Ainsi il s’avère que le patrimoine génétique de nos ancêtres à poil, dès les temps les plus reculés, offre une souplesse adaptative que longtemps on a sous estimée. Comment s’étonner dès lors de leur succès évolutif dès l’aube du Tertiaire, juste après la mort des Dinosaures ? Ils étaient prêts à tout, plus que sur le qui vive.
Référence :
(1) Thomas Martin, Jesús Marugán-Lobón, Romain Vullo, Hugo Martín-Abad, Zhe-Xi Luo & Angela D. Buscalioni (2015). A Cretaceous eutriconodont and integument evolution in early mammals. Nature 526, 380–384. doi:10.1038/nature14905
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donc, les mammifères ont un très long parcours dans le Mesozoïque, occulté jusque là par la richesse de la diversité « reptilienne »….la taille de ces mammifères ne dépassent-elle jamais quelques dizaines de centimètres pendant ces millions d’années d’évolution Mésozoïque?
Une taille plus importante signifie généralement un nombre plus réduits de représentants de l’espèce. Mais dans le cas des mammifères du Mésozoïque cela aurait probablement aussi signifié des besoins biologiques (notamment alimentaires) entrant nettement plus en compétition avec les reptiles qui occupaient le terrain. D’où un double inconvénient. Il devait donc être nécessaire de rester petit non seulement pour rester discrets en qualité de proies mais aussi pour assurer une pérennité de l’espèce en fonction des ressources nécessaires à la survie de durée minimale pour arriver à la reproduction. En terme d’évolution je pense que la survie des espèces mammifères devait probablement nécessiter une génération de durée suffisamment courte et un grand nombre de naissances pour assurer la pérennité car les pertes de juvéniles devaient être considérables. Et qui dit une maturité rapide et grand nombre de naissances… dit certainement une taille réduite. S’il a existé des moyens ou grands mammifères à cette époque-là ils devaient être rarissimes et je gage qu’on aura énormément de mal à en découvrir un jour…
Me trompé-je ?
Il est possible qu’un jour on découvre un Mammifère Mésozoïque de belle taille, après tout il existe bien de petits Dinosaures…Ceci étant, les quelques éléments que l’on a sur les « faunes » de Mammifères d’alors ne permettent guère de spéculations sur leur démographie et rythmes de vie. Oui probablement leur durée de vie était brève. Il est aussi probable que la plupart pondaient des oeufs, à l’image des Monotrèmes. Alors beaucoup de jeunes par portée ? Peu probable.
C’est un animal bien curieux que vous descrivez. Mais j’ai une question concernant votre commentaire ci-dessus. A-t-on trouvé des oeufs des mammifères fossilisés identifiables comme tels?
Merci d’avance.
[...] Décidément, les Mammifères du Mésozoïque ne cessent de nous épater, et on découvre chaque jour un peu plus qu’ils savaient faire face à bien des situations, trouver des solutions, et en un mot s’adapter. [...]
Non. Et il y a peu de chance que l’on en trouve un, jour. Ceux des Monotrèmes sont sans coquille, et ceux des Docodontes et autres l’étaient aussi probablement.