Grave question, qui n’est plus sans réponse depuis les travaux d’une étudiante de l’Université de Bonn, Katja Waskow. Mais comment diable cette gamine a-t-elle pu déterminer l’âge du premier rapport sexuel chez ce sauropode américain du Jurassique supérieur, dont les derniers ébats remontent à 140 million d’années au bas mot ? En paléontologie comme en gendarmerie, on sait depuis longtemps que tout est affaire de tactique. Ici, il est admis que la vitesse de la croissance diminue chez les dinosaures au moment de la maturité sexuelle ; à partir de ce moment c’est à la reproduction qu’ils consacraient l’essentiel de leur énergie, et plus à la croissance. Quand on a une bonne méthode pour déterminer la vitesse de croissance du Camarasaurus on peut donc en théorie observer le moment où cette vitesse diminue et en déduire l’âge du bestiau à l’aube de sa vie amoureuse.
Cela marche très bien avec de l’os lamellaire : comme les cernes de croissance des arbres, l’os lamellaire montre, lorsqu’on le coupe, des cercles concentriques correspondant aux lignes d’arrêt de croissance annuelles. Il suffit alors de repérer l’endroit où les cercles sont de plus en plus proches (et donc la croissance de plus en plus lente), de compter le nombre de cercles déposés avant cet arrêt de croissance et le tour est joué, on a l’âge du premier flirt! Oui mais, hélas, les choses sont un peu beaucoup plus compliquées que ça chez les dinosaures sauropodes. Car leurs os ne sont pas lamellaires mais fibro-lamellaires, ce qui veut dire que le tissu osseux est remanié au cours de la croissance, « effaçant » en quelque sorte une bonne partie des lignes d’arrêt de croissance et empêchant de déterminer l’âge de l’animal. On a donc une excellente méthode pour déterminer l’âge de la maturité sexuelle chez un camarasaure, mais le remodelage permanent des os longs (les fémurs, humérus, tibias, fibulas et caetera) empêche de s’en servir. En fait seules quelques lignes d’arrêt de croissance sont préservées, les autres étant détruites par le remaniement osseux. Flûte barbe, pestons-nous. Comment faire ? Et bien pourquoi ne pas couper autre chose que des os longs ? A l’intérieur des os « complexes » comme les vertèbres ou le crâne, le tissu osseux est remanié en permanence pendant la croissance, ce n’est donc même pas la peine de se pencher sur leur cas. Il faut au contraire préférer des os de forme simple qui pourraient avoir été peu ou pas remodelés, comme les chevrons ou les côtes.
C’est ce qu’à fait Katja, qui a tronçonné fiévreusement toutes les côtes d’un squelette complet de Camarasaurus pour voir ce qu’il y avait à l’intérieur et là, miracle, à certains endroits et sur certaines côtes elle a découvert de l’os lamellaire avec plein de lignes d’arrêt de croissance conservées. Notamment sur la troisième côte dorsale non loin de la tête de la côte (ou bien près de la vertèbre si vous préférez). Les lignes se resserrent brutalement vers la dix-huitième, dix-neuvième ligne, et donc Camarasaurus aurait atteint la maturité sexuelle vers 18-19 ans et aurait continué à grandir jusqu’à 40 ans environ. Et de jeunes Camarasaurus jouant à la bête à deux dos, ça devait être un spectacle à nul autre pareil, un spectacle qu’imagina naguère Fernand Mysor, mais ça je vous en causerai une autre fois peut-être.
Référence :
Katja Waskow & P. Martin Sander, 2014, Growth record and histological variation in the dorsal ribs of Camarasaurus sp. (Sauropoda). Journal of Vertebrate Paleontology, 34, 852-869.
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Publié dans : Amérique du Nord,Sauropodes
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Une méthode qui a la cote en quelque sorte.
[...] Grave question, qui n’est plus sans réponse depuis les travaux d’une étudiante de l’Université de Bonn, Katja Waskow. [...]
Pour draguer les minettes toutes fraîches en bord de mer au Jurassique, le Camasaurus célibataire commençait par suivre la ligne de côte…