Le Dinoblog

La paléontologie dans tous ses états, par l'équipe du musée des dinosaures

Une Grande Dame de la paléontologie nous a quittés

Le 16 avril 2015 par Jean-Louis Hartenberger

Zofia Kielan-Jaworowska n’est plus. Notre grande polonaise, celle qui a révélé en pionnière et mis en lumière dans toute leur étonnante diversité ce qu’avaient été les Mammifères au cours du Secondaire s’est éteinte à l’âge de 89 ans. Elle laisse une œuvre considérable en même temps qu’un souvenir impérissable : elle a suscité bien des vocations, dans tous les pays, jusqu’à devenir plus qu’une référence, un chef de file. D’abord  il y a ses très nombreux  travaux analytiques et descriptifs. S’y ajoutent plusieurs ouvrages de synthèses écrits en collaboration qui mettent en perspective les différentes étapes de l’émergence des Mammifères, longtemps à l’ombre des Dinosaures, sur tous les continents. Et puis il y a un livre que l’on peut recommander à tous ceux de tout âge épris de science et d’aventure : une histoire de sa vie et de ses recherches dans le désert de Gobi (1).

Les yeux de feu de Zofia, son sourire, les ridules des coins de sa bouche, sa véhémence à défendre ses hypothèses autant que ses qualités d’écoute, tout cela nous devons aujourd’hui l’enfouir dans nos mémoires. Mais il reste son oeuvre scientifique. Elle l’a bâtie en combattante et en patriote. D’abord en affrontant la barbarie nazie : à 15 ans elle est membre active de la Résistance Polonaise. A la Libération, en 1945, elle peut reprendre ses études et se porte volontaire dans Varsovie dévastée pour reconstruire son Musée de Zoologie. Sa grande chance est que la bibliothèque de l’établissement a été miraculeusement préservée, et elle va s’y plonger en même temps qu’elle poursuit ses études. Et puis elle rencontre le paléontologue Roman Kozlowsky qui va la guider dans ses premiers travaux. Elle aurait souhaité étudier des vertébrés fossiles, mais les circonstances lui enjoignent de s’orienter vers les invertébrés du Primaire, d’abord les trilobites, puis les graptolithes et coraux. Son pays est alors sous la férule des staliniens. Mais à la mort du « petit père des peuples » en 1953, l’étau du Parti va peu à peu se desserrer : de fait, grâce aux échanges scientifiques académiques, la Pologne comme d’autres pays satellites de l’URSS, a  pu s’engager dans la « glasnost » plus de 20 ans avant que Gorbatchev ne la décrète.

Zofia Kielan-Jaworowska, 1925 – 2015. Photo Jørn H. Hurum.

Zofia a soutenu sa thèse en 1952, et eu égard ses qualités scientifiques, ses talents d’organisatrice et de chef de mission, alliés à son joyeux enthousiasme, elle est nommée directeur de l’Institut de Paléobiologie de Varsovie en 1961. Il se trouve qu’à la même époque, grâce à l’entregent de son ancien Professeur Roman Kozlowsky,  l’Académie des Sciences de son pays vient de signer un accord de coopération avec celle de Mongolie. Dans ce cadre, il est prévu que des expéditions paléontologiques conjointes se dérouleront dans le désert de Gobi pour y rechercher  les Dinosaures et autres vertébrés que les couches du Crétacé recèlent, comme l’ont révélé les expéditions pionnières de l’American Museum de New York en 1920. Les études scientifiques se feront en collaboration entre chercheurs des deux pays, et à leur issue il y aura partage des collections qui seront exposées au public dans les musées d’histoire naturelle.

 

Zofia est naturellement nommée chef de mission. Elle va organiser et diriger cinq missions de fouilles de 1961 à 1971 dans ces contrées difficiles d’accès, accompagnée chaque fois de plus de 20 personnes, chercheurs et techniciens. La moisson sera si abondante que, encore aujourd’hui, ces récoltes n’ont pas fini de livrer tous leurs secrets. Qui plus est, Zofia est toute heureuse de pouvoir enfin se consacrer à l’étude des vertébrés, et elle choisit d’étudier les Mammifères du Crétacé. Jusque là ils n’étaient connus que par quelques dents et fragments de mâchoire. Les nouvelles fouilles mettent au jour de nombreux crânes et squelettes, et vont révéler peu à peu la grande diversité de ce monde mammalien qui a côtoyé les Dinosaures tout au long du Secondaire.  Et puis les chercheurs de Pologne, grâce aux échanges scientifiques et culturels peuvent participer à des réunions scientifiques, et surtout effectuer des séjours de longue durée dans les laboratoires occidentaux grâce aux programmes d’échanges des universités et de différents organismes de recherche de tous les pays,  y compris l’OTAN, organisme que l’on aurait pu croire frappé du sceau unique de Mars. Zofia, grâce à ces aides,  pourra faire des séjours en France, en Angleterre, aux Etats Unis, en Norvège et même à Saint Petersburg, bien que ce fut encore Leningrad ! Elle va beaucoup publier. D’abord dans la revue nationale Palaeontologica Polonica, puis dans toutes les grandes revues internationales avides d’accueillir dans leurs colonnes ses écrits. Leur grande qualité et intérêt réside bien sûr dans la nouveauté et la complétude de fossiles de mammifères jusque là inconnus qu’elle décrit. S’y ajoute le style de ses articles fait de concision, de précision, dans un anglais « scientifique » très accessible parce que très clair dans son déroulé. Dans la même temps se crée autour d’elle et grâce à elle tout un réseau de chercheurs de tous les pays qui se passionnent pour ces mammifères venus du fond des âges qui grâce à elle perdent peu à peu de leur mystère. Ainsi  lorsqu’elle organise la première conférence sur les Vertébrés terrestres et les écosystèmes du Mésozoïque qu’elle réunit à Paris parce qu’alors elle y séjourne, elle va attirer la fine fleur des spécialistes de Mammifères, Dinosaures et autres reptiles, et paléo écologistes qui s’intéressent moins à l’extinction des grands reptiles qu’à leurs modes de vie. Il faut reconnaître que les théories « catastrophistes » ont alors , et encore aujourd’hui, plus de succès dans les médias que dans les milieux scientifiques qui préfèrent analyser les faits, et négligent fantasmes et spéculations aussi oiseuses qu’irréfutables.

 

Les séjours qu’elle fait alors en Occident sont pour elle, comme pour tous les chercheurs de l’Est qui peuvent s’en évader, autant de ballons d’oxygène. En Pologne, il n’y a pas qu’à Gdansk que l’on combat au quotidien pour la Liberté. Dans les universités aussi les étudiants se sont dressés pour que soit abolie la loi martiale qui muselle le libre droit d’expression. Bien sûr le pouvoir en place n’entend pas céder, et les arrestations se multiplient.  Zofia va prendre fait et cause pour cette courageuse jeunesse, et n’hésitera pas à affronter les sbires de Jaruzelski. D’abord  tout étonnés que cette scientifique de réputation internationale ose leur ordonner de se défaire de leurs lunettes noires, ils seront bientôt laminés, emportés, et les démocrates polonais sauront oublier leurs affronts. Mais que de temps perdu !

 

Et puis viennent les années Walesa, avec des hauts et des bas. Il n’empêche que la Pologne est alors maitre de son destin. Zofia est devenue le chef de file d’une école qui s’emploie dans l’écriture d’une page de l’Histoire des mammifères jusqu’alors  méconnue.  Son énergie et sa curiosité scientifique resteront intactes longtemps encore, et même jusqu’à sa mort.  Ainsi est-elle la cheville ouvrière d’un ouvrage référence paru en 2004 qui a toute chance d’être encore longtemps feuilleté : Mammals from the Age of Dinosaurs (Columbia University Press ici).
Merci Zofia pour tout ce que tu as accompli pour la science et ton pays. Tu as tracé une voie, et tu es un exemple que tous les paléontologues sont fiers de citer.
L’hommage que nous te présentons aujourd’hui resterait incomplet si l’on n’y joignait pas le cliché de l’un de  de tes plus célèbres fossiles, le très vieil Euthérien Asioryctes nemegtensis du Campanien de Mongolie.

Asioryctes nemegetensis Kielan Jaworowska 1975 du Campanien de Mongolie. Photo Institut de Paléobiologie de Varsovie.

Référence :
1) Zofia Kielan-Jaworowska. 2013. In Pursuit of Early Mammals. Series: Life of the Past. 272 pages. Indiana University press.  ISBN: 978-0-253-00817-6 ici

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