Décidément il semblerait que les petites bêtes aient une fâcheuse tendance à vouloir imiter les grands de ce monde. Après la grenouille qui voulait se faire aussi grosse que le bœuf, le krill qui voulait devenir baleine (ici), laissez moi vous conter l’histoire du rongeur qui voulait imiter l’éléphant.
Evidemment, si je dis rongeur, vous pensez immédiatement souris et rats, et ceci a le don d’énerver le rodentologue (spécialiste des rongeurs) que je suis. Saviez-vous en effet que les rongeurs forment le groupe le plus diversifié de mammifères ? Sur les 5400 espèces de mammifères actuels, 2277 sont des rongeurs et il a probablement existé plus d’espèces de rongeurs au cours des derniers 56 millions d’années que d’espèces de dinosaures pendant la totalité de leur règne (soit 186 millions d’années mais il est vrai que les oiseaux se sont bien rattrapés depuis la crise Crétacé/Tertiaire).
Les rongeurs ont colonisé tous les continents, à l’exception de l’Antarctique, et sont présents dans tous types d’environnements, depuis les déserts les plus chauds jusqu’aux sommets les plus froids. Il existe des formes nageuses, fouisseuses, coureuses, sauteuses et planeuses. Toujours pas impressionné(e) ? J’ai compris, c’est encore et toujours une histoire de taille … Une fois de plus, les rongeurs pourraient vous surprendre puisqu’ils surclassent la plupart des groupes de vertébrés terrestres en terme de différences de taille : avec ses 70kg, le Capybara (le plus gros rongeur actuel) est 14000 fois plus lourd que la gerboise naine Salpingotus qui ne pèse que quelques grammes. Sur ce plan là, je vous l’accorde, les dinosaures ont peut-être fait un peu mieux.
Toutefois, les ancêtres des rongeurs n’ont pas tous joué dans la catégorie poids mouches. C’est en effet parmi les formes fossiles que se cachent les espèces les plus imposantes. Le plus gros rongeur connu pesait environ une tonne, soit 200000 gerboises naines, il a été retrouvé en Uruguay et porte le doux nom de Josephoartigasia monesi. Ce poids lourd vivait au Pliocène (5 à 2 millions d’années), à une époque de géants, et aurait disparu il y a seulement deux millions d’années. Il serait un cousin pas trop éloigné de votre chinchilla préféré ; d’ailleurs il me plaît parfois à imaginer un Josephoartigasia repu d’ennui faisant des ronds dans une roue géante en plastique fluo. Seul un crâne complet de cet animal a été retrouvé à ce jour. Des chercheurs des universités de York (Angleterre) et Montevideo (Uruguay) ont récemment utilisé des techniques de pointe sur ce spécimen unique dans le but de mieux comprendre les capacités masticatrices de cette espèce éteinte de rongeur.
La question qui brûlait les lèvres des rodentologues du monde entier était : est-ce que cerongeur pouvait ronger ? Les personnes qui ont souri à la lecture de cette question ont tout intérêt de lire les quelques lignes qui vont suivre, celles qui n’ont pas souri aussi d’ailleurs. Les auteurs de l’étude se sont proposés de répondre à cette question brûlante grâce à une reconstruction 3D du crâne et des logiciels de modélisation basés sur la méthode des éléments finis. Cette méthode est notamment utilisée en ingénierie et permet de calculer le comportement dynamique d’objets complexes ; il s’agit simplement de cibler les zones du crâne qui subiront le plus de stress au cours de la mastication. A l’image de Josephoartigasia, la surprise fut de taille ! Les simulations suggèrent que le méga rongeur avait une force de morsure d’environ 4000 newtons au niveau des molaires, soit environ trois fois celle d’un tigre ou d’un crocodile de taille moyenne, et de 1400 newtons au niveau des incisives (les dents les plus antérieures qui caractérisent les rongeurs). Les forces ainsi prédites sont évidemment très grandes mais, de manière plus surprenante encore, il semblerait que les incisives aient été capables de supporter une force trois fois supérieure à celle estimée sur la base de la musculature seule. Pour les auteurs, cela signifie que Josephoartigasia utilisait ses dents à d’autres fins que celles de se nourrir. A l’instar des défenses des éléphants, Josephoartigasia devait se servir de ses incisives comme un outil multiusage, tantôt pour se défendre ou tantôt pour creuser (voir des exemples de têtes de pioches (ici). Il sera important de vérifier cette hypothèse en étudiant par exemple les micro-usures dentaires du rongeur géant (expression qui n’est certainement pas un oxymore et vous en conviendrez j’en suis sûr après la lecture de ce billet).
Désormais, on comprend mieux pourquoi les éléphants auraient une peur bleue des rongeurs. Ils n’aiment pas la concurrence voilà tout … Mais ils se trompent bien entendu car je suis certain que Josephoartigasia aurait pu prendre leur défense !
Référence
- Cox PG, Blanco RE, Rinderknecht A (2015). Predicting bite force and cranial biomechanics in the largest fossil rodent using finite element analysis.Journal of Anatomy 226: 215-223.
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Publié dans : Amérique du Sud,Mammifères fossiles,Nouveautés
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Plutôt que d’essayer de cloner des mammouths, ne pourrait-on plutôt faire grossir des chinchillas pour produire une précieuse énergie chinchillomotrice ? A-t-on calculé combien de Josephoartigasia seraient nécessaires pour produire l’équivalent d’une centrale nucléaire ?
Tout dépend la centrale ! Si c’est Fessenheim, un ou deux Josephoartigasia devraient faire l’affaire …
[...] Décidément il semblerait que les petites bêtes aient une fâcheuse tendance à vouloir imiter les grands de ce monde. [...]
Si on fait grossir les rongeurs, il faudra faire pareil avec les chats. C’est sans fin !
Merci pour cet article sur un rongeur sachant ronger ou pas.
J’ai du mal à imaginer une tribu de Josephoartigasia courant dans tous les sens dans mon grenier…