C’est une de ces couillonnades qui fleurissent sur la toile depuis quelques années : il y aurait au Cambodge, dans l’un des temples d’Angkor, un bas-relief représentant un stégosaure… Une preuve irréfutable que les Khmers du XIIe siècle connaissaient ce dinosaure jurassique et donc, ma bonne dame, qu’on nous ment, qu’on nous prend pour des quiches ! Et qu’il y avait ,bien sûr, des stégosaures vivants au XIIe siècle en Asie du Sud-Est, ce qui arrange bien les créationnistes au front bas qui essaient de nous faire croire que la Terre n’aurait que quelques milliers d’années… Cette absurdité a déjà été taillée en pièces, mais Google, quand on lui propose les mots clés stégosaure et Angkor, nous sert une flopée indigeste de sites créationnistes ou cryptozoologiques de bas étage. Aussi, pour contribuer à l’édification des esprits, avons-nous décidé d’ajouter le grain de sel du Dinoblog à cette histoire. Car les stégosaures, on les aime bien même si on n’en parle pas souvent… Et comme on aime bien causer de ce que l’on connaît nous n’avons pas reculé devant l’obstacle ni la distance.
C’est ainsi qu’une expédition du DinOblog, marchant hardiment sur les traces d’Henri Mouhot qui « découvrit » Angkor en 1859, s’est retrouvée il y a quelques mois dans l’enceinte du temple de Ta Prohm. Ce bien bel édifice fut construit à quelques encablures du mythique temple d’Angkor Vat par les industrieux sujets du Roi Jayavarman VII et consacré en 1186. Il est aujourd’hui fameux pour ses figuiers étrangleurs qui poussent sur le temple. Mais venons-en aux faits ! Que voit-on sur ce fichu temple, nom d’un petit bonhomme en bois ? Une série de petits médaillons sculptés, les uns au-dessus des autres, avec en bas la cause de l’embrouille : un animal pourvu d’une queue et d’une tête cornue, dont le dos est surmonté de sortes de protubérances. Saperlipopette ! Un animal cornu au Cambodge ? Ben oui, ça s’appelle un buffle, Toto. Mais ces excroissances ne sont-elles pas des plaques osseuses érigées sur le dos de l’animal, qui serait donc en fait un stégosaure cornu ? Meuh non ces charmantes ornementations, comme de plus savants que nous l’ont déjà écrit, sont des pétales de lotus, la fleur sacrée du sud-est asiatique qui fleurit sur tous les monuments khmers, servant souvent de fond à d’autres représentations. C’est ainsi que sur le temple voisin du Bayon on peut observer tout à loisir un remarquable stégolapin (le stégolapin est un lapin surmonté de plaques osseuses pour les plus crédules, de feuilles de ficus et/ou de pétales de lotus pour les autres) et autres stégobestioles de grande qualité qui avaient échappé aux observateurs : j’ai en réserve, pour les amateurs, de la stégobiche, du stégosanglier et même du stégoéléphant. Voilà, le pétale de lotus sert donc de décor, et cinq minutes de visite d’un temple khmer suffisent à le comprendre.
L’artiste devait, on l’admettra, être soit complètement bourré, soit vraiment mauvais, pour sculpter un buffle aussi grossier. On peut ajouter que s’il voulait représenter son stégosaure apprivoisé, c’est au moins aussi raté puisqu’un stégosaure, animal dépourvu de ces vastes et nobles cornes, ne ressemble absolument pas à ça. La seule chose à laquelle ça ressemble un (tout) petit peu, c’est à mon porte-clés stégosaure en peluche, qui n’est pas un modèle de fiabilité anatomique. Pourquoi cette image évoque-t-elle cependant irrésistiblement quelque animal préhistorique ? Sans doute parce que traînent dans nos esprits les anciennes reconstitutions de stégosaures au dos rond du début du siècle dernier, perpétuées par les jouets variés et les peluches (voir ici)…
Pour en revenir à notre « artiste » du douzième siècle, le chenapan était une buse niveau sculpture, heureusement les gars des ressources humaines ne jugèrent pas nécessaire de l’envoyer sculpter les Apsaras du Bayon, on imagine le désastre… Résumons : un sculpteur maladroit rate quelque peu son buffle sur fond de pétales de lotus et 800 ans plus tard des légions de branquignols y voient la preuve définitive que les dinosaures ont cohabité avec l’homme. On pourrait épiloguer sur l’esprit critique qui se perd ou sur les mal-comprenants qui adhèrent à toutes les théories du complot. Force est de constater une fois de plus que quand on vous raconte un truc invraisemblable (genre y’avait des dinosaures au Moyen Age) et bien en général ce n’est pas vrai… Et pour positiver un peu, si vous n’avez pas encore visité Angkor, vous pouvez vous réjouir sans retenue d’avoir une telle merveille à découvrir !
Jean-Louis Fischer, 2010, Le dinosaure d’Angkor. Pour la Science, n° 394, Août 2010, pp. 86-87
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Tous les renseignements sur les rencontres du Dinoblog sont ici et ici
Publié dans : Asie,Nouveautés,Ornithischien
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bonsoir, merci pour ce bel article ! J’ai cru comprendre que les représentations de stégosaure au dos rond ne sont plus d’actualité ? Comment est-ce qu’on reconstitue les stégosaures aujourd’hui ? Pouvez-vous donner un exemple ?
Merci ! L’illustration de Michel Fontaine (à droite du porte-clés) est un bon exemple de stégosaure new look.
je vous signale le livre de Jean-Loïc Le Quellec que j’ai édité :
http://www.actes-sud.fr/catalogue/beaux-livres/des-martiens-au-sahara
dans lequel l’auteur mentionne d’autres offensives des créationnistes, par exemple un soi-disant tricératops aux USA !
Merci, je vais tâcher de trouver cet appétissant ouvrage !
Donc si je comprend bien, les protubérances des stégosaures étaient en fait, des pétales de lotus géantes, et les bufles en portent aussi de temps en temps ?!
Damned, que j’aime la palontéologie !!!
C’est à peu près ça sans oublier les lapins…
je vois , Jean, que tu es en stégoforme sur cet article….
stégosilles pas j’ai compris…
Merci le Dinoblog de contribuer à la lutte contre les diverses théories du complot…et toujours avec le sourire
Cette stégohistoire me rappelle la manière magistrale avec laquelle une de mes collègues du Service pédagogique des Musées royaux d’Art et d’Histoire (1) avait remis à sa place (2) un prof’ d’Histoire de l’enseignement secondaire qui, accompagnant une classe lors d’une visite de la section «Égypte ancienne» des dits musées lui avait sorti un
- Mais vous n’y connaissez rien, Mademoiselle. Les pyramides des Gizeh ont été construites grâce à la puissance de l’esprit des prêtres de l’époque, qui leur permettait de faire léviter les pierres les plus grosses.
Ce à quoi la collègue, pince sans rire, avait répondu :
- C’est une théorie intéressante, mais quelque peu dépassée. En effet, une fresque découverte récemment dans un tombeau de la Vallée des Rois prouve que les Égyptiens connaissaient l’existence, dans les marais du Nil, de dinosaures apparentés aux brontosaures. Ils avaient su les apprivoiser, pour leur faire tracter les pierres destinées aux pyramides.
1 – Aussi connus comme «Musées du Cinquantenaire», à Bruxelles.
2 – Au fond de la classe, à droite, près du radiateur !
Voui, c’est vrai, votre collègue a raison Frédéric… et avec l’aide des stégosoucoupes volantes de Daniken, le célèbre champion du monde toutes catégories (et de tous les temps) en matière d’inanités et d’anachronismes (il sera dur à battre, même par les plus audacieux créationnistes!)
Sympa, les stégolapins, Jean!
Moi, au muséum à Toulon, j’ai eu une personne qui m’a mené des faux trilobites de l’Ordovicien du Maroc trouvés dans des affleurements jurassiques du Centre Var.
Précision, une décharge sauvage se trouvait également à proximité. Rien à faire, j’étais un flan qui ne connaissais pas mon métier et elle ne partagerait pas son prix Nobel de paléontologie (si si, il paraît qu’il existe) avec moi…
Mais bon, dans le Var nous avons aussi le Phacomochère…
Voila un merveilleux éclairage que je vais pouvoir indiquer sur mon blog. Car évidement, cette jolie petite bête ne m’avait pas échappe lors de mon voyage là bas. Bonne journée.
Lune voyageuse
Beau debunking, et très bon article, très drôle aussi. Je me suis régalé ! C’est amusant comme les gens pensent aussi que les dragons du moyen-âge peuvent avoir été des dinosaures (ou même avoir été inspiré par la découverte de fossiles de dinosaures). C’est un sujet passionnant que nous avons développé dans l’une de nos vidéos (liens au dessus). Continuez à rendre le net moins bête, et merci
[...] C’est une de ces couillonnades qui fleurissent sur la toile depuis quelques années : il y aurait au Cambodge, dans l’un des temples d’Angkor, un bas-relief représentant un stégosaure… Une preuve irréfutable que les Khmers du XIIe siècle… [...]
Le dinosaure d’Angkor, Jean-Louis Fischer in Pour la Science, n° 394, Août 2010, pp. 86-87
Chercheur au Centre Alexandre Koyré, l’auteur avait fait joliment le point, dans cet article, sur la genèse de cette « affaire ».
C’est vrai, l’article n’est malheureusement pas en libre accès sur internet… Ce serait d’utilité publique sur un tel sujet !
Je crois que l’équipe a raté là une bonne occase au Cambodge, en labourant le sol elle aurait pu découvrir non pas des faux-cils mais de vrais os et donc envisager d’en dénicher l’ADN et donc… donc… oui rêver à Espéraza d’un Juroncic ou d’un Crétincé park sur Aude isntit?
Angkor lui! les plaques m’en tombent; Le temple a été bâti au jurassique, point- barre
A moins que le sujet ait déjà été abordé ici; un article en forme de mise à jour sur la posture des dinos serait, à mon humble avis, le bienvenu ici…
Il y a bien ce billet http://www.dinosauria.org/blog/2013/10/24/dessine-moi-un-tyrannosaure-le-petit-prince-est-un-gros-nul/
ou encore celui-ci http://www.dinosauria.org/blog/2012/04/26/dinoroman-1-letrange-manuscrit-trouve-dans-un-cylindre-de-cuivre-de-james-b-de-mille/
Ceci dit sur la posture des stégosaures j’ai sous la main un petit texte méconnu qui gagnerait à sortir de l’oubli. Ou peut-être devrais-je plutôt l’y laisser sagement, dans l’oubli.
En remarque :
La clé près du stégosaure n’est pas une clé de sûreté : Attention au lapin-lotus cambrioleur!