C’est en 1998, nous dit-on, que le monde émerveillé a découvert l’existence de ces dinosaures à plumes qui ont conduit nombre d’illustrations antérieures au cimetière des vieilles images paléontologiques. Cette année-là en effet le journal Nature publia coup sur coup la description de trois petits théropodes chinois revêtus de protoplumes (Sinosauropteryx, Caudipteryx et Protarchaeopteryx) découverts dans les gisements crétacés du Liaoning. Ce fut le début d’une avalanche de dinosaures emplumés dont on ne voit pas la fin (on en a causé ici par exemple). Et 1998 est donc une sorte d’année 0 de la plume dinosaurienne.
Pourtant les praticiens assidus de la paléoichnologie (dois-je rappeler qu’il s’agit de la science qui étudie les traces fossiles ?) étaient déjà sur la bonne voie depuis un petit moment. En 1996 le paléoichnologue polonais Gerard Gierliński décrivit un curieux fossile du Jurassique inférieur du Massachussetts. Il s’agit des traces laissées par un dinosaure carnivore au repos : les deux pieds, les métatarses et la trace de l’extrémité des ischions, ou si vous préférez du postérieur de l’animal. Le dinosaure était donc accroupi dans la bouillasse, comme la première autruche venue. Ce fossile remarquable avait été étudié à plusieurs reprises avant que Gerard ne se penche sur lui, et le fondateur de la paléoichnologie, Edgar Hitchcock, l’avait lui-même décrit en 1858. On s’accorde à considérer qu’il appartient à l’ichnogenre Eubrontes, des traces de pas produites par un dinosaure carnivore proche de Dilophosaurus (souvenez-vous dans Jurassic Park, cette curieuse bête crachant du venin). Mais aucun des estimables prédécesseurs de notre paléoichnologue polonais n’avait accordé d’intérêt à une petite zone recouverte de sortes de rayures, non loin de l’endroit où devait reposer le ventre de l’animal. Après examen, Gierliński s’est convaincu qu’il s’agissait des traces laissées par l’épiderme du dinosaure sur le substrat, et que cet épiderme était couvert de plumes. Plus exactement de structures « plus flexibles que des écailles, plus fines que des plumes, plus épaisses que des poils, probablement similaires aux plumes de certains oiseaux coureurs ».
Pour vérifier cette intuition, tel un Sébastien Chabal de la paléontologie, Gerard a plaqué un condor dans la boue* au zoo de Varsovie. Et quand le condor passa, enfin quand il repartit, il laissa des traces dans cette boue, que Gérard compara aux empreintes de son Eubrontes. Et bingo, les traces laissées par le bide emplumé de l’oiseau ressemblent beaucoup, selon Gierliński, à celles du Massachussetts. Conclusion : c’est un dinosaure à plumes, ou plus probablement équipé de sortes de protoplumes, qui a laissé ses traces dans les grès jurassiques des Etats-Unis. Ces protoplumes que l’on allait découvrir deux ans plus tard…
Vous pensez certainement que, depuis, la communauté paléontologique a rendu hommage à la sagacité de Gerard, l’homme qui a identifié la première trace vraisemblable de plume dinosaurienne. Bah, non… Selon certains le savant polonais a fait fausse route, et si ces traces sont bien celles du ventre du dinosaure, ce sont en fait des déformations du sédiment dues à la diminution de la pression lorsque le dinosaure s’est relevé. Mouaip… Quand une explication simple fonctionne, pourquoi ne pas aller chercher un truc tarabiscoté ? On ne saurait totalement exclure cette dernière hypothèse à laquelle pas mal de monde s’est rallié mais à mon humble avis l’hypothèse de Gierliński tient au minimum tout autant la route.
Entre parenthèses, pour mieux comprendre ce désintérêt pour cette interprétation, il faut savoir que, contrairement à ce que le bon sens laisserait supposer, la paléoichnologie n’est généralement pas pratiquée par les mêmes chercheurs que la « paléo-ostéologie ». Les paléoichnologues ont leurs propres congrès, leurs propres revues scientifiques qu’ignorent superbement la plupart des autres paléontologues, et réciproquement. Pour avoir fréquenté les deux cénacles, je puis vous rassurer, il y a des gens très compétents de part et d’autre, mais très peu tentent de croiser les données ostéologiques et ichnologiques, ce qui est dommage. Et pour en revenir à notre Eubrontes du Massachussetts, il resterait à identifier d’autres empreintes du même type, peut-être mieux conservées, sur des pistes contemporaines, pour s’assurer que des dinosaures théropodes avaient déjà des plumes il y a 200 millions d’années. Mais comme les traces de repos de dinosaures sont extrêmement rares, on attend encore…
*Nul animal n’a été martyrisé durant cette expérience au zoo de Varsovie, à part bien sûr le condor.
G. Gierliński. 1996. Feather-like impressions in a theropod resting place from the Lower Jurassic of Massachussetts
Darren Naish a évoqué cette histoire sur son blog Tetrapod Zoology ici : http://scienceblogs.com/tetrapodzoology/2009/09/07/dyzio-feathered-dilophosaur/
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Remarquable commentaire immédiat de Michel Tranier, alors conservateur des collections au MNHN, lors d’une discussion suite à la parution de l’article de Nature en 1998 : « Mais alors, quelle est la synapomorphie des oiseaux ? »
Respect !
Ça m’fait rêver !
[...] C’est en 1998, nous dit-on, que le monde émerveillé a découvert l’existence de ces dinosaures à plumes qui ont conduit nombre d’illustrations antérieures au cimetière des vieilles images paléontologiques. [...]