Si la capture du premier cœlacanthe vivant en 1938 est considérée comme la plus grande découverte zoologique du 20ème siècle, il est des ouvrages traitant du fameux poisson qu’on aurait préféré savoir oubliés dans les profondeurs de l’océan livresque. Alors pourquoi étaler l’anatomie de ce nouveau venu sur les pages du DinOblog ? C’est que la créature est trop surprenante pour ne pas être disséquée. Une fois « Le cœlacanthe, une espèce animale à l’épreuve des médias » ouvert, le livre de Florent Barrère à l’épreuve de notre scalpel, les viscères se répandent aussitôt. Ils sont étranges et révèlent bien des difformités. Les erreurs sont aussi abondantes que le sont les écailles « pédonculées » (sic) sur le corps de notre poisson. En voici une petite sélection.
On découvre l’existence des « premiers mammifères amphibies à la conquête des terres émergées » et le requin-baleine devient « un pauvre mammifère marin » (il faut dire que dans l’épisode relaté, la chimère a été enfermée dans un lagon). Le «… cœlacanthe n’est pas le seul poisson redécouvert vivant alors qu’on le présumait seulement fossile », il y a aussi « le Nautile … et la Limule » ; ici l’erreur est double puisque non seulement ces animaux ne sont pas des poissons, mais en plus ils n’ont pas été découverts sous forme de fossiles avant les formes vivantes. « … son cerveau gros de trois grammes n’a pas semblé suffisant pour s’adapter à d’autres milieux […]. La remontée terrestre n’a pas été possible, apparemment. » Enfin, sachez que « … le coelacanthe s’est spécialisé à son milieu marin – sans entrer non plus sur le terrain déceptif en arguant qu’il s’est fourvoyé dans une impasse évolutive en régressant… ». Encore une petite pour les dinosaurologues : « Il [Richard Owen] remarque que les restes précédemment trouvés (Iguanodon, Megalosaurus et Hylaeosaurus), souvent grâce au gisement minier belge de Bernissart, ont de nombreux caractères en commun, et décide à cet effet de créer un nouveau groupe taxonomique ». Il paraîtrait que Chronos, le dieu du temps, était le père de Chaos.
On déniche également des erreurs d’interprétations regrettables. Ainsi, à propos de cette illustration parue dans le Canard enchaîné de février 1939 (ce que je n’ai pas pu vérifier), notre auteur déclare :
« … le Canard enchaîné laisse place à un tout autre cœlacanthe, à la conformation physique bien étrange : sa queue trilobée se voit remplacée par une grande croix gammée, et sa tête osseuse par celle d’un citoyen français .»
Dans cette caricature du sud-africain Vic Lapham, le « citoyen français » est en fait Neville Chamberlain, Premier ministre du Royaume Uni lors de l’entrée en guerre de ce pays et connu pour sa politique de conciliation avec l’Allemagne nazie. D’ailleurs tout cela est dit dans la caricature qui porte le titre « Nevilleopterygii – fish without backbone ».
Barrère poursuit :
« Assez simplement se dégage – en s’efforçant de faire abstraction de la caricature pas très habile dans sa dénonciation – tout le poids réel, lourd, de la guerre ».
Vous avez dit « pas très habile », « lourd » ?
L’objectif de l’auteur n’est pas tant de raconter une nouvelle fois l’histoire de la découverte du cœlacanthe que d’ « entreprendre une réévaluation morale des premières images du coelacanthe ». Mais là, je ne comprends plus rien, c’est trop compliqué pour moi. Exemple : « c’est donc par l’image d’un cœlacanthe, qui serait à ranger dans le temps de la représentation, que l’on va convoquer un témoignage oral de rencontre avec le cœlacanthe, qui serait plutôt de l’ordre de la preuve testimoniale. » Dans cette partie du livre, l’auteur traite de sa spécialité, le cinéma. Il s’agit surtout d’une analyse comparative entre deux émissions qui ont consacré des reportages au cœlacanthe, Thalassa et Ushuaïa. Il s’agit là, peut-être, de la partie la moins abyssale de l’ouvrage. Cependant, manifestant personnellement le plus profond désintérêt pour cette question de télévisionologie comparative (le néologisme est de moi), ce chapitre m’a laissé complètement indifférent. Mais là, je ne suis plus objectif, alors je m’arrête sur ce sujet.
Le livre est ponctué de tableaux récapitulatifs qui nous permettent « de cerner toute la densité et les contradictions du dossier cœlacanthe à l’aune de la démarche peircienne sur le signe (« trichotomie de l’objet »). Ça aide la lecture, en effet.
Cet ouvrage s’inscrit dans la tradition des livres traitant de cryptozoologie, ce qui n’est pas une tare en soi. Mais on y retrouve de nombreux défauts qui encombrent trop souvent ce genre littéraire tels que la méfiance vis-à-vis de la science « officielle ». Par exemple J.L.B Smith, qui a décrit les deux premiers cœlacanthes, a considéré que le deuxième spécimen appartenait à un genre différent du premier, une erreur qui n’est pas si rare dans le domaine de la systématique. Pourtant, sous la plume de Barrère, il s’agit là d’ « un véritable escamotage scientifique », « d’autant plus qu’à la seule vue des photographies des deux spécimens, un observateur quelque peu attentif remarquerait sans peine les mêmes traits identitaires : … ». Là je dis, chapeau ! Voici les deux photos en question :
Autre exemple de style cryptozoologique à propos de la découverte du papillon Xanthopan morgani praedicta, dont l’existence fut « prédite » par Darwin par l’observation d’une orchidée à la morphologie particulière : « On doit une nouvelle fois à la perspicacité de Michel Raynal d’avoir exhumé cet incroyable dossier de la malice du temps, qui consume et dévore toutes choses, dans un article complet à ce sujet » publié en 2009. Le temps malicieux n’a pourtant pas dévoré plusieurs dizaines d’articles scientifiques publiés sur cette symbiose avant 2009, mais visiblement oubliés par notre auteur.
Enfin, il y a les perles : « Un support souple, en à-plat, unidimensionnel », « … une rocambolesque Aventure de Tintin : avec femme et enfants, … » (le jeune homme à la houppette nous a caché quelque chose !), ou « Le professeur JLB Smith avait certes des atouts pour devenir le protagoniste de ce récit télévisuel, mais sa mort dans les années cinquante l’handicape. » C’est sûr, la mort ça handicape.
En conclusion rappelons que si les cœlacanthes, un genre menacé d’extinction, ne doivent plus être pêchés, ce n’est pas une raison non-plus pour les maltraiter par d’autres procédés.
Terminons cette visite des abysses par une note positive, quasi épipélagique : j’ai beaucoup rigolé à la lecture de ce livre ! Dommage que ce ne soit probablement pas l’objectif de l’auteur.
Publié dans : Poissons fossiles
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