Un fossile de la taille d’une souris fait trembler la base des branches de l’arbre phylogénétique des primates et apporte des informations cruciales sur l’origine du groupe.
Et ça recommence, on nous refait le coup du plus ancien squelette de primate ! En 2009, la découverte d’Ida (le nom de scène de Darwinius masillae), un magnifique fossile de primate retrouvé dans les schistes bitumineux éocènes de Messel (47 Ma) avait provoqué un véritable schisme au sein de la communauté des paléoprimatologues. Ses inventeurs voyaient en Ida une sorte de chaînon manquant entre les singes Haplorrhiniens (anthropoïdes et tarsiers) et Strepsirrhiniens (lémuriens et loris), à grand renfort d’un documentaire Discovery Channel (ici) et d’un logo google (ici) diffusés avant même que la description du spécimen ne soit publiée … Sitôt la publication parue, une grande partie de la communauté scientifique a rejeté en bloc cette hypothèse. Comme pour scier la branche sur laquelle ils étaient assis, les auteurs de l’étude avaient « choisi » une petite trentaine de caractères pour démêler les relations de parenté d’Ida. Faute d’Ida-ttention ou non, l’équipe avait tout simplement oublié de prendre en compte 15 années de découvertes simiesques récentes, en particulier Eosimias un primate asiatique qui vivait il y a 45 millions d’années et considéré comme un très proche parent des primates anthropoïdes (voire le plus ancien d’entre eux). Désormais, la plupart des spécialistes du groupe s’accordent pour penser qu’Ida appartient à la famille des adapidés, un groupe éteint de primates proches des lémuriens. Evidemment, quand on nous annonce pour la deuxième fois la découverte du plus ancien squelette de primate, on s’attend à une nouvelle peau de banane … Alors, bis repetIda ?
Retrouvé dans des dépôts datant de 55 millions d’années, le nouveau squelette est plus ancien qu’Ida d’environ 8 millions d’années ; il a été découvert il y a dix ans par un fermier chinois de la province de Hubei. 10 ans ? Et toujours pas le moindre documentaire ? Même pas un p’tit logo google ? De deux choses l’une, soit l’équipe sino-américaine en charge d’étudier le fossile n’a pas pris immédiatement la mesure de sa découverte, soit ces chercheurs ont pris le temps nécessaire pour faire parler le squelette plutôt que de faire parler d’eux. L’étude publiée dans la revue Nature la semaine dernière rapproche cette nouvelle espèce fossile au groupe des tarsiers, des petits primates nocturnes d’Asie du Sud-Est considérés comme le groupe frère des singes anthropoïdes (dont nous faisons partie avec les grands singes notamment). En exclusivité mondiale pour le DinOblog, voici la première réaction d’un tarsier à l’annonce de la découverte de ce cousin éloigné : ici. Il fallait donc trouver un nom à ce vieux singe, ce sera Archicebus du grec ancien « arche » le commencement, et du latin « cebus » le singe.
Que révèle ce squelette à propos du mode de vie des premiers primates ? Une étude exhaustive a permis de reconstruire le profil d’Archicebus. Sa taille est sans conteste l’un des caractères les plus frappants, avec un corps de 71mm de long et un poids estimé de 20 à 30 grammes, Archicebus avait à peu près la même taille qu’un microcèbe (le plus petit primate actuel). Outre leur taille minuscule, les proportions des membres montrent que ces petits primates devaient être arboricoles et quadrupèdes. Bien assis dans sa canopée, Archicebus devait se nourrir principalement d’insectes, comme en témoigne la morphologie de ses dents. S’il était généralement convenu que les premiers primates devaient être arboricoles et insectivores, il était en revanche impossible de savoir si ces animaux étaient actifs le jour ou la nuit. Là encore, le crâne d’Archicebus apporte un début de réponse, la taille de ses orbites suggérant un mode de vie diurne plutôt que nocturne.
Il semble surtout que les primates sont apparus à une période clé de l’histoire de la Terre. A l’Eocène, réchauffement climatique oblige, une grande partie de la planète était recouverte d’une épaisse forêt tropicale humide, et la région chinoise de Hubei devait être un « hot spot » de biodiversité, un milieu rêvé pour faire évoluer des champions de l’accrobranche ! Cette découverte renforce l’hypothèse d’une origine asiatique du groupe, et non africaine comme on le pensait il y a une vingtaine d’années ; elle montre surtout que la diversification des primates s’est produite relativement rapidement quelques millions d’années après la disparition des dinosaures.
L’âge ancien d’Archicebus ainsi que son anatomie fournissent également des informations cruciales sur l’émergence du groupe frère des tarsiers, nous les primates anthropoïdes. Plusieurs caractères anatomiques, en particulier ceux des pattes postérieures, montrent qu’Archicebus serait très proche de la divergence entre les tarsiers et les anthropoïdes. Le talon d’Archi est d’ailleurs l’un des points forts de la discussion, ses os du tarse ressemblant plus à ceux de petits singes anthropoïdes comme le ouistiti qu’à ceux d’un tarsier. De là à dire qu’il s’agit de notre plus lointain ancêtre, il n’y a qu’un pas que les auteurs de l’étude se sont bien gardés de franchir. En effet, et contrairement à ce qu’on a voulu nous faire gober au moment de la découverte d’Ida, toute quête d’un ancêtre commun est vaine en paléontologie. Les paléontologues ont beau savoir faire parler les fossiles, tout au mieux pourront-ils se rapprocher de la divergence entre deux groupes, mais jamais un dernier ancêtre commun ne pourra être reconnu en tant que tel.
Pauvre Ida, se faire traiter de chaînon manquant à son âge, c’était vraiment manquer de respect à un fossile aussi exceptionnel ! Qu’on se le dise, jamais cette vieille branche n’aurait dû avoir à porter le poids de l’humanité…
Référence
Ni X, Gebo DL, Dagosto M, Meng J, Tafforeau P, Flynn JJ, Beard KC. 2013. The oldest known primate skeleton and early haplorhine evolution. Nature.
Publié dans : Mammifères fossiles,Primate
Les commentaires et les pings ne sont pas autorisés.