« Les animaux sont comme des bêtes. D’où leur nom. Ne possédant pas d’intelligence supérieure, ils passent leur temps à faire des bulles ou à jouer dans l’herbe au lieu d’aller au bureau. Ils mangent n’importe quoi, très souvent par terre. Ils se reproduisent dans les clairières, parfois même place de l’Église, avec des zézettes et des foufounettes. »
C’est drôle, mais cette citation de Pierre Desproges me revient en tête tous les ans à la même époque, au moment où les pigeons commencent à parader devant nos pieds entre deux miettes de pain goulûment avalées. « C’est le printemps ! » aurait rétorqué le boucher de Pierre. La semaine dernière encore, assis sur un banc avec un ami, je m’amusais du comportement facétieux de certains pigeons mâles qui, toute gorge déployée, tentaient de s‘attirer les faveurs d’une femelle. C’était sans compter sur le dédain légendaire des pigeonnes qui à lui seul était capable de transformer les plus téméraires tentatives d’approche en une ouverture de Jean-Claude Dusse, la plupart d‘entre elles se terminant par un échec cuicuisant qu’une nouvelle miette de pain devait faire oublier très rapidement. A en croire une célèbre chanson de Renaud, ces pigeons idiots mériteraient qu’on leur file des coups d’ pieds pour de faux. Pourtant, si la parade du pigeon apparaît bien souvent vaine et incongrue, que pourraient bien penser ces chers columbinés de certaines de nos parades, ou plus spécifiquement ici, de celles de nos ancêtres.
De nos jours, les réseaux sociaux comme Facebook sont aux adolescents ce que la miette de pain est au pigeon, un bon prétexte pour flirter incognito. Mais en l’absence d’internet (je rappelle aux plus jeunes d’entre nous qu’internet a été inventé dans les années 60), quels subterfuges pouvaient bien utiliser nos lointains ancêtres pour attirer l’attention du sexe opposé ? Pas besoin de vous faire un dessin, une chose vient immédiatement à l’esprit quand il s’agit d’imaginer une scène de séduction de l’âge de pierre. Et au diable la censure, appelons un chat un chat et un pigeon un pigeon, c’est bien de s…x dont il va être question ici. Tout le monde a en effet eu l’occasion de contempler au moins une fois, et peut-être même de tenir dans ses mains, un biface en silex. Le biface est souvent considéré comme le couteau suisse du Paléolithique, j’y verrais plutôt un équivalent de notre téléphone portable, une sorte de gadget multi-usage qu’il convenait d’avoir sur soi en toutes circonstances, en gros le silex toy de l’âge de pierre !
Pourtant, s’il fait peu de doutes que les bifaces ont dû être utilisés comme de vulgaires couteaux à steak, il existerait en réalité relativement peu de preuves concrètes de cette utilisation purement pratique. Face à l’abondance de bifaces dans certains sites, Marek Kohn et Steven Mithen soulèvent plusieurs questions pertinentes : pourquoi passer autant de temps à produire de tels artefacts alors que des outils moins travaillés étaient parfaitement indiqués pour découper de la viande ou travailler le bois ? Pourquoi une telle recherche de symétrie ? Contrairement à nos outils high-tech, la tendance n’était pas vraiment à la miniaturisation, des bifaces géants ont en effet été retrouvés dans plusieurs sites à travers le monde. Comment expliquer alors l’existence de ces formes géantes ? Kohn et Mithen ont proposé une nouvelle manière de concevoir le rôle du biface dans les sociétés anciennes en faisant appel à la théorie du handicap ou principe du handicap de Zahavi (du nom de Amotz Zahavi un ornithologue israélien qui le premier formula cette hypothèse en 1975). Cette théorie, qui a été ardemment discutée, suggère qu’un signal sexuel doit être « coûteux » pour son porteur, témoignant ainsi de sa bonne santé, pour qu’il puisse être considéré comme fiable par un représentant du sexe opposé. L’un des exemples les plus célèbres, qui avait été évoqué par Darwin en personne, est celui de la queue du paon, une parade devant laquelle aucune femelle ne saurait rester insensible, mais qui réduit les chances de survie des mâles face aux prédateurs et donc constitue un fardeau pour les moins vigoureux d’entre eux.
Selon Kohn et Mithen, la réalisation d’un biface devait être coûteuse pour celui ou celle qui le fabriquait mais constituait un bon moyen de mettre en avant un talent individuel et une bonne connaissance des matières premières à utiliser et donc de son environnement. Ainsi, à l’image de réseaux sociaux comme Facebook et Twitter, il semble probable que les bifaces aient pu jouer un rôle social important en rendant public des informations personnelles. Face à ce petit bijou de technicité, les techniques d’approche classique du style « t’as pas du feu ? », certainement très en vogue à l’époque, ont dû prendre un sérieux coup de vieux. Et si avoir des biceps était certainement très utile pour séduire, les Jean-Claude Dusse du Paléolithique pouvaient se rassurer en produisant le dernier biface à la mode, il ne leur restait alors plus qu’à foncer, on sait jamais sur un malentendu ça peut marcher … Rien ne nous interdit dès lors de reconstituer une conversation de l’époque :
« Tiens, tiens, Rahan a modifié son profil de biface hier … Attention les filles !
- En même temps, il est très bien ce jeune homme, propre sur lui et hachement poli. »
Comme toujours avec ce genre d’étude, la prudence reste de mise car il ne s’agit là que d’une interprétation possible. Force est de constater que le côté esthétique des bifaces reste toujours très prisé dans nos sociétés modernes. Pour ma part, je trouve assez séduisante l’idée d’imaginer une personne mettre autant de cœur à l’ouvrage pour les beaux yeux de son ou de sa partenaire. Mais du coup, j’en viendrais presque à regretter mes ricanements face à ces pauvres pigeons. Alors c’est promis, l’année prochaine j’arrête de me moquer des pigeons. Je laisserai à Pierre Desproges le mot de la fin car il n’en avait pas vraiment terminé avec sa définition du règne animal : « L’homme est un être doué d’intelligence. Sans son intelligence, il jouerait dans l’herbe ou ferait des bulles au lieu de penser au printemps dans les embouteillages. »
Etonnant non ?
Références
Dusse JC. 1979. On sait jamais, sur un malentendu, ça peut marcher. Les bronzés font du ski http://www.youtube.com/watch?v=yBFY3EjSZRE
Kohn M, Mithen S. 1999. Handaxes : products of sexual sélection ? Antiquity 73 : 518-526.
Desproges P. 1986. Le printemps. Chroniques de la haine ordinaire http://www.youtube.com/watch?v=DaNPNu2kE_A
Desproges P. 1986. Le règne animal. Chroniques de la haine ordinaire http://www.youtube.com/watch?v=w-XsB1-g9Wk
Et dans le même style, je recommande la lecture du dernier tome de « Silex and the city » de Jul, pour les amateurs d’anachronismes hilarants.
Publié dans : Préhistoire
Les commentaires et les pings ne sont pas autorisés.
si ça t’intéresse, le même type de constatation a été fait en Papouasie
avec des haches polies d’apparat. Ces observations peuvent être
corélées aux échanges sur longues distances de haches polies en roches
vertes des alpes. cf. travaux de Pierre Pétrequin
[...] « Les animaux sont comme des bêtes. D’où leur nom. Ne possédant pas d’intelligence supérieure, ils passent leur temps à faire des bulles ou à jouer dans l’herbe au lieu d’aller au bureau. Ils mangent n’importe quoi, très souvent par terre. [...]
Et qui a jamais tenu un poignard Pressignien sait que ça ne devait pas servir a grand chose a part impressionné les pepettes.
Pour compléter cette version romantique de l’utilisation de son biface dernier cri. Nowell A, Chang ML 2009. The Case Against Sexual Selection as an Explanation of Handaxe Morphology. PaleoAntropology: 77-88
Merci pour la dédicace tu sais combien j’aime les sites à bifaces.
La même chose est peut-être à imaginer pour la production des très grandes lame du magdalénien notamment mises au jour sur le site d’Etiolles! plus de 65cm de long! quelle bande de frimeurs ces magdas!