Il y a une vingtaine d’années, sur une petite colline du Nord-Est de la Thaïlande nommée Phu Nam Jun, ou « la colline de la source », des villageois découvrirent des petites pierres scintillantes. En grattant la surface du sol des fragments plus grands apparurent et révélèrent la vrai nature des objets : il s’agissait de morceaux de poissons fossilisés couverts d’écailles émaillées. Un bien joli début d’histoire pour une découverte paléontologique ! Mais, malheureusement, la suite est plus triste.
Plusieurs des jeunes hommes qui participèrent aux découvertes moururent subitement sans raison apparente. Vivait-on là un remake de la malédiction de la momie ? On se rappelle que suite à la découverte du tombeau de Toutankhamon en 1922, plusieurs des « profanateurs » seraient décédés mystérieusement quelques années plus tard (N.B. une légende, bien sûr, car dans les faits seul un des découvreurs meurt en 1923, les autres s’éteignent progressivement à des âges respectables et Howard Carter lui-même, le big boss, meurt 17 ans après la découverte). Serions-nous en présence de la malédiction des poissons de la colline ? C’est bel et bien ce qu’imaginèrent les découvreurs des fossiles et pour mettre fin aux malheurs, ils décidèrent d’agir : ils stoppèrent net les recherches, réenterrèrent des fossiles à l’endroit de leur découverte et en offrirent d’autres au temple local. Ce temple, qui porte le joli nom de Wat Buddhabutr, est dirigé par le moine Phra Sakda Thammaratho. Très soucieux de l’embellissement de son institution et fin manageur, il accepta volontiers les fossiles et les installa dans des vitrines où on peut encore les admirer. Quant à la malédiction de la colline, il semblerait qu’elle soit provoquée par une maladie génétique endémique dans cette région de la Thaïlande qui continue de frapper brutalement les hommes dans la force de l’âge.
En 2001 le paléontologue Varavudh Suteethorn, du département des ressources minérales de Thaïlande, découvre les poissons conservés dans le temple-musée. Il décide alors d’entreprendre une fouille systématique sur le site d’origine des fossiles. Mais il fallait d’abord le retrouver ! L’année suivante, nous avons prospecté sur la colline en compagnie de la première volée d’étudiants en paléontologie de l’Université de Mahasarakham. Bientôt le lieu probable des premières découvertes fut repéré. Notre ami le moine désenchanta le site par ses prières agrémentées d’offrandes de riz gluant, de poulet grillé et de quelques orchidées. Les premiers coups de pioche dégagèrent rapidement les poissons, mais il était évident que ces fossiles n’étaient pas en place ; ils avaient été réenterrés par les premiers chercheurs pour tenter de calmer les esprits de la colline.
Les truelles et couteaux à huître remplacèrent les pioches et des fossiles in situ apparurent. Il s’agissait de très beaux poissons complets. Afin de les prélever sans dommage – ils possédaient encore leurs délicates nageoires et toutes leurs dents – on décida d’appliquer la technique de plâtrage. C’est une méthode assez lourde à mettre en place, mais très efficace pour extraire de gros fossiles.
Régulièrement, des campagnes de fouilles furent organisées entre 2002 et 2007, et plusieurs centaines de spécimens s’accumulèrent dans les salles de réserve du Musée Sirindhorn à Phu Kum Khao situé près de la ville de Kalasin.
Le musée Sirindhorn ouvre ses portes en 2007 et présente une salle entière consacrée aux poissons du site de Phu Nam Jun.
Entre chaque période de fouilles, la préparation des spécimens se déroule dans le laboratoire du musée Sirindhorn. C’est un labeur très chronophage, beaucoup plus long que le temps passé sur le terrain. Et pendant tout ce processus une étudiante de l’Université de Mahasarakham, Uthumporn Deesri, se distingua par sa participation assidue tant aux activités techniques que scientifiques : toujours présente sur les fouilles, guidant les coups de pelle et les plâtrages des fossiles, Uthumporn a aussi passé des milliers d’heures à préparer près de 300 spécimens avec l’aide de ses collègues. Depuis 10 ans Uthumporn s’est aussi consacrée, d’abord avec prudence puis avec passion, à l’étude scientifique de ces poissons. Ce travail aboutira en 2012 à la soutenance d’une thèse à l’Université de Mahasarakham sur les « sémionotiformes » de Thaïlande. A suivre…
Publié dans : Poissons fossiles,récits de fouilles
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