Dans la déferlante d’ouvrages parus en 2009 pour célébrer le bicentenaire de Charles Darwin (1809-1882) et le cent-cinquantième anniversaire de la publication de L’Origine des espèces se niche une petite perle parue chez l’éditeur suisse Georg, Darwin et les fossiles : histoire d’une réconciliation, par le paléontologue helvète Lionel Cavin (par ailleurs pilier de ce dinoblog). Mûri durant de studieuses vacances à Bex, riante commune du canton de Vaud, cet ouvrage original, reposant sur une lecture quasi-exhaustive de l’œuvre du grand savant anglais, est né d’une contradiction du Grand Charles. En 1837, Darwin écrivait que la découverte de mammifères fossiles en Amérique du Sud était «l’un des deux faits à l’origine de toutes mes vues » sur l’évolution des espèces (le premier de ces deux faits étant l’observation de la faune des Galapagos). Or, dans L’Origine des espèces, en 1859, il reconnaît que les fossiles sont le talon d’Achille de sa théorie, «l’objection la plus sérieuse qu’on puisse lui opposer ».
What’s the problem, Charles ? Et bien en 1859, les maigres documents paléontologiques ne présentent pas « entre les espèces actuelles et les espèces passées, toutes les gradations infinies que réclame ma théorie ». La faute à qui, Charles ? « Je considère les archives géologiques … comme une histoire du globe incomplètement préservée, écrite dans un dialecte toujours changeant, et dont nous ne possédons que le dernier volume traitant de deux ou trois pays seulement. Quelques fragments de ce volume et quelques lignes éparses de chaque page sont seuls parvenus jusqu’à nous.» Bref les lacunes de l’enregistrement fossile, en 1859, obèrent toute tentative de lecture littérale des archives incomplètes de la terre…
Lionel Cavin part de cette contradiction pour, à 150 ans de distance, rassurer Charles – la suite du livre c’est le récit de quelques transitions essentielles de l’histoire de la vie désormais bien documentées par la paléontologie. Ainsi de l’origine de la vie. Il est vrai qu’en 1859 on ne connaît pas de fossiles cambriens (ne parlons même pas de précambrien !). Les intuitions fort justes de Darwin seront vérifiées au cours du siècle suivant : découverte des fossiles cambriens de Burgess en Colombie britannique (début du XXème siècle), des organismes précambriens d’Ediacara en Australie (1946), plus récemment de formes éocambriennes à Chengjiang en Chine.
« Si ma théorie est vraie » assurait Tonton Charles, « il est certain qu’il a du s’écouler, avant le dépôt des couches siluriennes inférieures [i.e. ordoviciennes, système défini en 1879 seulement] des périodes aussi longues et probablement même beaucoup plus longues que celles écoulées entre l’époque silurienne et l’époque actuelle, périodes inconnues pendant lesquelles des êtres vivants ont fourmillé sur Terre ». Ben oui, bien vu Charles…
Lionel Cavin revisite ensuite quelques-unes des transitions encore hypothétiques pour cause d’absence de fossiles au milieu du XIXème siècle et qui se sont éclairées depuis grâce à la découverte de fossiles intermédiaires : l’origine des poissons plats, des tétrapodes, des tortues, des oiseaux ou des baleines. Darwin avait tout bon, ou presque : nombre de ses hypothèses ont été validées par les travaux des paléontologues, ces gens si utiles finalement pour connaître une histoire de la vie dont les lacunes sont moins nombreuses chaque année, au fur et à mesure de l’exploration paléontologique du globe.
De nombreuses digressions autour du sujet principal permettront aussi aux lecteurs non-helvètes de croiser les deux autres illustres paléoichthyologues suisses, Louis Agassiz et François Jules Pictet de la Rive, ainsi que quelques savants genevois un peu plus obscurs, pourvoyeurs de glyptodons pour les collections du Muséum de Genève dont Lionel a la charge. Quelques grands sites paléontologiques suisses sont aussi évoqués au détour des pages, de la montagne de Coirons près de Genève aux empreintes de pas fossiles du Vieux Emosson (récemment évoquées ici). Mais l’auteur évoque aussi ses expériences de terrain dans des endroits aussi exotiques que la jungle thaïlandaise et les vignobles du Languedoc.
Un livre indispensable, donc, pour comprendre tout ce que la paléontologie a apporté au moulin de Darwin. Cette science alors jeune et dont Charles se méfiait apporte aujourd’hui, dans sa maturité, sa plus belle démonstration à la théorie de l’évolution.
Lionel Cavin, 2009, Darwin et les fossiles : histoire d’une réconciliation, Georg Editeur, 236 p.
Pour aller plus loin, vous pouvez réécouter Lionel Cavin parler de son métier sur la Radio Suisse Romande ici (émission du 9 novembre 2012)
Publié dans : Analyse de livre,Evolution,Histoire de la paléontologie
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