J’ai longtemps ignoré que l’Ecole de Pharmacie de Paris (aujourd’hui Université Paris Descartes) possédât des fresques paléontologiques. Et comme cette découverte a (un peu) illuminé mes jours, j’ai pensé à la partager avec les lecteurs du DinOblog dans l’espoir d’embellir leur automne pluvieux. C’est à l’historien des sciences néerlandais Ilja Nieuwland que je dois l’origine de cette révélation : il y a environ deux ans, Ilja nous interrogea, Eric Buffetaut et moi, sur l’existence d’une peinture de Besnard représentant un Diplodocus, nous plongeant dans une profonde perplexité car nous ignorions tout de cette œuvre. Je confesse que j’ignorais alors jusqu’à l’existence d’Albert Besnard (1849-1934) dont Wikipédia vous apprendra qu’il fut un peintre, graveur et décorateur de renom (et les quelques références à la fin de cet article vous diront le reste). Bref, l’enquête démarra ainsi dans un brouillard des plus opaques. Elle prit un tournant essentiel lorsque je découvris dans les Annales Politiques et Littéraires de Noël 1908 (on a les lectures qu’on peut…) la reproduction d’une œuvre de Besnard intitulée Le Diplodocus.
En fait de Diplodocus il s’agit tout bonnement de quelques plésiosaures au soleil couchant, mais la légende de l’illustration précisait : Ecole de Pharmacie, Paris. Restait à vérifier sur place la survivance de l’œuvre, car ô combien de ces fresques, combien de belles peintures, ont disparu sous un coup de badigeon hygiénique, hélas bien à craindre dans cet antre des apothicaires. Le Dinoblog a de la ressource et quelques heures plus tard de robustes explorateurs masqués s’introduisaient subrepticement dans le hall de l’Ecole de Pharmacie et confirmaient l’existence d’une fresque un peu abimée, noircie et décolorée, montrant de colossaux animaux antédiluviens (nos espions ne sont pas forcément des paléontologues).
Quelques semaines plus tard je fis à mon tour le pèlerinage avenue de l’Observatoire, dans le VIème arrondissement, pour admirer ces assez impressionnistes plésiosaures soleil couchant, qu’un critique de 1906 évoquait ainsi : « sur les vagues d’un océan démonté qu’éclaire un soleil de sang, surgissent et se balancent les monstrueux plésiosaures ». Le véritable titre de la peinture est d’ailleurs l’Apparition des Animaux, et non Le Diplodocus, mais la diplomania de juin 1908 (celle dont on vous reparlera bientôt) avait décidément tout emporté sur son passage, et la moindre grosse bête à long cou devenait un diplodocus cette année-là. Ce n’était pas la dernière confusion dans l’attribution zoologique des « Animaux » de Besnard puisque quelques années plus tard, dans une biographie du Maître, on pouvait lire ces phrases : « Ailleurs voici, en pleine mer, les ichtyosaures effrayants, mi-poissons mi-oiseaux, balançant, au bout de leurs longs cols musculeux des têtes plates aux mâchoires irrésistibles; ces monstres se tordent dans l’écume, et un étrange soleil, livide et terne, cerné d’un halo rougeâtre, éclaire les vagues. » Un autre biographe de Besnard évoquait des « quadrupèdes marins demi-chimériques à cols de girafe et têtes de reptile ». Encore quelques années et lors d’une conférence, en 1963, l’épouse du Doyen de la Faculté de pharmacie évoquait avec un certain dédain « de pauvres monstres de l’ère secondaire que nous avons bien de la peine à prendre au sérieux ! »
Autant dire que la postérité a été plutôt ingrate avec les plésiosaures de Besnard, qui sont pourtant une œuvre plutôt regardable, malgré les injures du temps (en 1914 un critique écrivait déjà : « des réparations importantes sont, dès maintenant, nécessaires »). A la décharge de ces auteurs, nous pourrions rappeler qu’il est arrivé à des chercheurs de prendre la vertèbre d’un plésiosaure pour celle d’un dinosaure… Mais face à l’animal entier, en chair et en os, ces confusions fâcheuses témoignent plutôt de l’inculture crasse en paléontologie de générations d’historiens d’art. Bien sûr, grâce au DinOblog, d’aussi lamentables erreurs ne se concevront bientôt plus (le Général eût probablement qualifié cette assertion de « vaste programme ») : un diplodocus a des pattes faites pour marcher, et un plésiosaure, des palettes natatoires. Même avec des animaux à demi immergés, il est impossible de confondre les deux silhouettes…
La peinture de Besnard date de la fin des années 1880. Elle fait partie de la décoration de l’Ecole de Pharmacie de Paris exécutée par l’artiste entre 1884 et 1894 ; parmi les 17 panneaux figurent des scènes représentant certaines des activités de l’école comme La cueillette des simples, Le cours de chimie ou L’excursion géologique. Quelques mammouths (L’éléphant préhistorique) ont quant à eux presque disparu. L’on ne peut que louer les mânes des générations de pharmaciens qui ont conservé ces fresques, résistant aux tentations hygiénistes comme à l’appel d’une déco plus tendance, même si certains potards leur firent subir (et notamment à la femme préhistorique) d’indignes outrages. Il nous reste à suggérer à leurs dignes héritiers de faire venir un restaurateur émérite pour rendre aux fresques de Besnard leur éclat d’origine. Fasse que quelque lecteur du DinOblog transmette cette supplique aux autorités de l’Université Paris Descartes !
Je remercie les fins limiers de l’agence Fouchard-Lheureux pour leur assistance précieuse dans cette enquête.
Références :
Eric Buffetaut, Claude Colleté, Bruno Dubus & Jean-Louis Petit, 2005. Le « sauropode » de l’Albien de Mesnil-Saint-Père (Aube, France) est un pliosaure, non un dinosaure. Carnets de Géologie, CG2005_L01.
Elie Bzoura, 1998, Le patrimoine de la faculté de pharmacie de l’Université Paris V, Revue d’histoire de la pharmacie, 86, 238-250.
Camille Mauclair, 1914. Albert Besnard, l’homme et l’œuvre. Librairie Delagrave, Paris,
Gabriel Mourey, 1906. Albert Besnard. Henri Davoust, Paris, 154 p.
Achille Segard, 1914. Peintres d’aujourd’hui. Les décorateurs. Librairie Ollendorff, Paris, 324 p.
Mme G. Valette, 1963. La présentation des richesses artistiques de la Faculté, Revue d’histoire de la pharmacie, 51, 103-116.
Publié dans : Histoire de la paléontologie
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Ah, merci de m’éclairer un peu sur l’histoire de ces fresques! J’avoue ne jamais m’être posé autant de questions lors de mes passages la-bas. La prochaine fois, je les regarderai un peu plus longtemps…
Cyril, si tu es familier de ces lieux, merci de faire passer le message aux usagers de la Faculté de pharmacie !
J’y ai travaillé quelques semaines (comme quoi tout arrive) et j’ai prévu d’y repasser prochainement, j’en profiterai pour faire passer le message à l’administration et à mes contacts internes…
Après les corrections paléontologiques, une correction orthographique : la cueillette des simples prend un S.
c’était pourtant si simple…
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