La mort est évidemment un élément indispensable à la paléontologie (de même qu’à la médecine légale ou à la thanatopraxie, et d’ailleurs à la plupart des activités humaines). Mais si la mort d’un individu peut interpeller le paléontologue qui découvre ses restes fossilisés (de quoi ce dinosaure particulier est-il mort ? Question en général sans réponse d’ailleurs…), sa problématique est en général plus vaste. Il sera donc question ici de la mort à une échelle globale, totale, industrielle : la mort des espèces, en d’autres termes leur extinction, ceci à travers les pages du dernier livre d’Eric Buffetaut consacré à ce sujet inquiétant, Sommes-nous tous voués à disparaître ? Il semble que cela soit inéluctable d’une façon ou d’une autre puisque 99,9% des espèces ayant vécu sur Terre ont disparu, et que le « bail » moyen des espèces de mammifères est d’un peu plus de deux millions d’années. Il n’y aura donc sans doute pas nécessité d’attendre l’explosion du soleil dans quelques milliards d’années pour tirer un trait sur Homo sapiens. Mais quelle sorte de trait ? Tyrannosaurus rex et Homo erectus ont disparu, mais si la première espèce a définitivement tiré sa révérence, les gênes d’Homo erectus sont en nous, et ce polisson (pardonne-moi, lecteur, je n’ai pas su résister…) a évolué pour donner… Homo sapiens. Voici mise en évidence une première différence de taille dans la notion d’extinction : extinction définitive de la lignée ou évolution génomique et morphologique vers une nouvelle espèce. Nous laisserons de côté ce dernier aspect moins mortifère de l’extinction pour évoquer l’extinction définitive, éliminant jusqu’au dernier les individus d’une espèce, sort récemment subi par le Dodo, le thylacine ou le dauphin du Yangtse.
Ici, à nouveau, plusieurs mécanismes sont à l’œuvre (mais surtout pas la « sénescence » des espèces chère à certains biologistes et paléontologues du début du XXe siècle) : concurrence entre espèces, notamment lors de la mise en contact de deux aires géographiques jusqu’alors séparée par une barrière naturelle, conséquence de changements climatiques (lesquels, suggère l’auteur, ne sont pas forcément « le facteur majeur d’extinction que l’on imagine souvent ») ou autres phénomènes extérieurs à la biologie (impact de météorites, éruptions volcaniques, etc.).
Depuis quelques années l’extinction de masse est à la mode, et, comme le note Eric Buffetaut, le grand public en a fort bien accepté l’idée, faisant « sans doute preuve de plus de perspicacité que certains scientifiques ». Le reste de l’extinction, l’extinction de base si l’on veut, c’est-à-dire ce qui a touché l’immense majorité de ces espèces disparues, est paradoxalement moins bien compris que ces quelques extinctions globales. Si la disparition des derniers représentants de la famille des tyrannosauridés est bien due à la chute d’une météorite, quelles sont les causes de l’extinction des spinosauridés, survenue à une date indéterminée quelques dizaines de millions d’années plus tôt ? Question sans réponse…
« Dead as a dodo », dit un proverbe d’outre-manche, et l’auteur, dont on connaît le goût immodéré pour ce non-volatile (le dodo est son dada), en a illustré sa couverture à dessein : il évoque longuement les modalités de nombreuses extinctions récentes, souvent liées à l’activité humaine, soulignant en passant que si les espèces dont peu d’individus subsistent sont évidemment en danger, de vastes populations ne constituent pas forcément une assurance contre l’extinction. Ainsi du pigeon migrateur nord-américain, dont les milliards d’individus ont été détruits jusqu’au dernier par nos semblables en quelques décennies, sort auquel échappa de justesse le bison américain.
Les animaux insulaires tels Raphus cucullatus (le Dodo si vous préférez) ont évidemment payé un lourd tribut ces derniers millénaires à l’expansion de l’humanité. Il y a même tellement d’espèces insulaires qui ont disparu que les ornithologues en ont comptabilisé quelques-unes de trop, comme le Géant de Léguat, un grand échassier de l’Ile Maurice qui n’a jamais existé que dans l’imagination de son découvreur, lequel avait sans doute vu… un flamant rose ! Ce genre d’anecdotes abonde dans cet ouvrage qui se lit très agréablement. L’auteur fait aussi un point circonstancié sur bon nombre de questions que pose la notion d’extinction : l’aspect historique de la reconnaissance du phénomène par Buffon, Cuvier et bien d’autres ; les causes probables des extinctions de masse, ou le rôle de l’homme dans les extinctions récentes. Certaines espèces emblématiques comme le mastodonte ou le mammouth ont plutôt succombé à la disparition de leur habitat lors de la dernière déglaciation qu’à la chasse menée par nos ancêtres.
Il y a en somme bien des façons de s’éteindre comme les espèces actuelles nous le montrent, et il serait audacieux de tenter d’expliquer toutes les extinctions du passé. La conséquence de ces extinctions, notamment des extinctions de masse, ce sont des périodes de radiation adaptative où un grand nombre de nouvelles espèces évoluent. Il faut donc mourir pour laisser la place aux autres, et la mort des espèces, dans une perspective paléontologique, n’est évidemment pas un drame, l’extinction étant un élément nécessaire de l’évolution.
Ce livre n’est surtout pas un traité de l’extinction, c’est un essai de grande qualité sur les extinctions, passées, présentes et à venir. C’est aussi la réflexion plus personnelle d’un paléontologue sur le rôle de l’humanité dans la sauvegarde des espèces (des tentatives parfois couronnée de succès, comme dans le cas de la perruche verte de l’Ile Maurice dont je me réjouis d’autant plus de la survie que j’ignorais son existence), même si l’accompagnement des derniers représentants de telle ou telle espèce a parfois davantage à voir avec les soins palliatifs qu’avec la promesse d’une résurrection.
On connaît les écrivains-voyageurs, Eric Buffetaut est sans doute le modèle de l’espèce des écrivains-paléontologues dont on ne sait s’il faudra mettre ses derniers représentants dans des parcs zoologiques pour éviter leur extinction définitive…
Ce billet est publié dans le cadre de la semaine de la mort du (ici)
Eric Buffetaut, 2012, Sommes-nous tous voués à disparaître ? idées reçues sur l’extinction des espèces, Le cavalier Bleu, 153 p., 18 €
Publié dans : Analyse de livre,Extinctions
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