Le menu de Compsognathus, ce petit dinosaure carnivore découvert en Allemagne au milieu du XIXe siècle, est débattu depuis 140 ans par des critiques gastronomiques aussi fameux qu’Othniel Charles Marsh, Franz Nopcsa ou John Ostrom. Récemment, c’est l’alimentation de ses cousins chinois qui a suscité l’intérêt d’une équipe sino-canadienne. Cuisine allemande contre cuisine chinoise, Weißwurst contre canard laqué : plein de préjugés sur ce sujet sensible, j’ai voulu faire le point sur les antécédents dinosauriens de la gastronomie mondiale.
Compsognathus fut longtemps connu par un seul squelette découvert dans les calcaires lithographiques du Jurassique terminal de Solnhofen en Bavière dans les années 1850. Ce petit squelette, préservé sur une plaque de calcaire lithographique, est remarquablement bien conservé et sous ses côtes on peut observer quelques os minuscules qui donnent de précieuses indications sur le dernier repas de la bestiole. Marsh fut le premier à remarquer ces petits os, en 1881. Il considéra qu’il s’agissait des ossements d’un embryon, voire d’un bébé Compsognathus boulotté par un adulte cannibale. Marsh favorisait cependant la première explication, y trouvant son principal argument de la viviparité des dinosaures jusqu’à ce que l’illustre Baron Nopcsa ne démontre, en 1903, qu’il s’agissait des os d’un petit lézard. En 1978 le paléontologue américain Ostrom suggéra que ce minuscule squelette était celui du lézard Bavarisaurus, avalé entier par ce goinfre de Compsognathus. Dans l’intervalle un second squelette de Compsognathus fut découvert dans le Var, à Canjuers, au début des années 70. Cet animal d’un mètre quarante est actuellement considéré comme appartenant à la même espèce que le petit dinosaure de Bavière (lequel ne mesure que 75 cm de long). Comme en Bavière, le contenu stomacal du Compsognathus varois est préservé : au menu du lézard et/ou du sphénodontidé.
Voici pour l’alimentation des Compsognathus européens, passons à leurs cousins asiatiques : Lida Xing et son équipe sino-canadienne viennent de publier dans la revue PLOS-One le résultat de leurs travaux sur le contenu stomacal de deux compsognathidés chinois, en provenance des gisements du Liaoning en Mandchourie. Les deux squelettes appartiennent à l’espèce Sinocalliopteryx gigas et datent de la première moitié du Crétacé inférieur (entre 145 et 130 millions d’années). Comme son nom l’indique, Sinocalliopteryx gigas est un gros (gigas) compsognathidé chinois (sino) pourvu de jolies (callios) plumes (pteryx). Je ne discuterai pas ici de la beauté de ces plumes qui paraît avoir frappé les auteurs de ce nom, me contentant de rappeler qu’il s’agit de protoplumes, c’est-à-dire de longs filaments plus ou moins ramifiés. Bref ce n’est de toute façon pas l’extérieur de la bête qui préoccupait ici Xing et ses collègues mais l’intérieur, et plus précisément le contenu stomacal de Sinocalliopteryx, qui soit dit en passant est un géant à l’échelle des compsognathidés seulement puisqu’il mesure environ deux mètres quarante du bout du museau au bout de la queue.
Les résultats de cette autopsie nous apprennent que Sinocalliopteryx grignotait volontiers de petits dromaeosaures comme Sinornithosaurus ; l’un des deux squelettes étudiés contient aussi des restes de deux Confuciusornis, qui comme nul ne l’ignore sont de jolis oiseaux chinois. Un os pouvant appartenir à un petit dinosaure ornithopode a aussi été identifié. A noter que ce compsognathidé était lui aussi un abominable goinfre, puisque c’est presque toute une patte de dromaeosaure, avec ses griffes, que l’on a retrouvé à l’intérieur de son squelette : essayez d’avaler d’un coup un pilon de poulet avec le tibiotarse et les doigts pour voir !
Confuciusornis laqué contre saucisse de lézard… Il ne serait pas sérieux d’aller plus loin, alors rebondissons vers les confins de la paléontologie pour tenter de conclure. L’art paléontologique contient quelques illustrations prophétiques, des hypothèses audacieuses confirmées quelques décennies plus tard par la découverte d’un nouveau fossile. Lors de la découverte de Microraptor, la 4L dinosaurienne, Eric Buffetaut avait rappelé dans un article de Pour La Science le dessin du zoologue américain William Beebe datant de 1915 et montrant un hypothétique ancêtre des oiseaux, petit reptile planeur aux quatre membres recouverts de plumes… Bonne pioche !
Dans le cas présenté ici, certes plus anecdotique, c’est la contemplation d’une peinture de Zdenek Burian, le grand illustrateur tchèque, qui m’a rappelé cet article de la revue Plos One lu la veille, et donné l’idée de ce billet alimentaire. Les lecteurs assidus de ce blog, s’il y en a, se souviennent peut-être de ma tendresse pour l’Archaeopteryx bleu de Burian. Une autre peinture (datant de 1955), intitulée Compsognathus & Archaeopteryx, montre deux Archaeopteryx au-dessus d’un Compsognathus en train de dévorer un animal rougeâtre dont l’identification est pour le moins délicate. Mais au terme de cette exploration des entrailles des voraces compsognathidés il me semble que, comme Beebe, Burian fut ici un visionnaire : bon sang mais c’est bien sûr, ce Compsognathus se prépare à avaler un troisième Archaeopteryx !
L’ornithophagie des compsognathidés est en tout cas avérée pour l’un de leurs représentants chinois et la peinture de Zdenek Burian (du moins s’il a peint ce que je prétends, ce qu’un observateur plus consciencieux démentira peut-être) devient terriblement pertinente 57 ans après…
Références :
Lida Xing, Phil R. Bell, W. Scott Persons IV, Shuan Ji, Tetsuto Miyashita, Michael E. Burns, Qiang Ji, Philip J. Currie. 2012. Abdominal Contents from Two Large Early Cretaceous Compsognathids (Dinosauria: Theropoda) Demonstrate Feeding on Confuciusornithids and Dromaeosaurids. PLoS ONE 7(8): e44012. doi:10.1371/journal.pone.0044012
Eric Buffetaut. 2005. Les dinosaures à plumes et l’origine du Vol. Dossier Pour la Science n°48, 57-59.
Publié dans : Dinosaures à plumes,Théropodes
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