Voici l’histoire d’une naissance, mais pas n’importe laquelle, tout simplement celle de la paléontologie ! Et comme toutes les histoires de naissance, la nôtre commence par une perte des « os » … Ou plus exactement d’une dent qui constituera le point de départ d’une formidable enquête. Cette molaire de mastodonte, considérée comme perdue depuis deux siècles, fut retrouvée par hasard par Pascal Tassy alors qu’il mettait « un peu d’ordre dans la collection des mammifères fossiles », selon ses propres mots. Pour ceux qui ne le connaissent pas, Pascal Tassy est professeur au Muséum national d’Histoire naturelle de Paris, il est surtout reconnu comme l’un des spécialistes mondiaux des proboscidiens fossiles, bref un « mastodonte » pour tout ce qui concerne l’évolution et la paléoécologie des éléphants et de leurs cousins … Si désormais le terme « mastodonte » fait partie du langage courant, il a pourtant été inventé à une époque où la notion même de fossiles n’existait pas et où ceux qui les étudiaient n’étaient pas encore des paléontologues. Le terme en revient à Georges Cuvier et provient du grec mastos (mamelle) et odontos (dent) en raison de l’aspect mamelonné de leurs molaires. Les mastodontes sont des cousins des éléphants et appartiennent à la famille des Mammutidae, à ne pas confondre avec les vrais mammouths (du genre Mammuthus) qui appartiennent à la famille des Elephantidae (celle des éléphants modernes).
La redécouverte de cette dent a surtout donné à Pascal Tassy une formidable occasion de nous replonger dans l’improbable histoire de sa découverte. Au fil de son investigation, anecdotes après anecdotes, l’auteur arrive à un constat : la paléontologie est née en 1739 dans un coin du Kentucky dénommé Big Bone Lick, situé sur les bords de la rivière Ohio, au moment précis où des indiens Abekanis ont eu l’idée de collecter la fameuse dent pour la remettre à des pionniers de la Nouvelle France. Après moult péripéties, la quenotte finira par arriver à Paris et passera tour à tour dans les mains de Buffon, Daubenton et pour finir Cuvier (rien que ça !) ; elle se retrouvera alors au cœur d’un débat autour du concept d’espèce éteinte, jetant ainsi les bases d’une science en devenir, la paléontologie. Selon l’auteur, toutes les étapes propres à l’exécution de la science paléontologique avaient été réunies pour la toute première fois : la découverte des fossiles, leur récolte, leur conservation, leur étude et leur interprétation. A la manière d’un roman d’aventures, son récit nous invite à faire des allers-retours constants entre les grandes plaines américaines et les travées d’un tout jeune Muséum d’Histoire naturelle, à une époque de pionniers où les Etats-Unis se créaient une histoire et où l’Europe se découvrait une préhistoire. Des fossiles et des légendes d’indiennes, voici un savant mélange qui vous tiendra en haleine et vous donnera une irrésistible envie de flâner dans les allées de la galerie de paléontologie du Muséum en écoutant du bluegrass un verre de bourbon à la main.
Pascal Tassy, L’invention du mastodonte, aux origines de la paléontologie. Belin, 2009, 159 p., 18€.
Publié dans : Analyse de livre,Histoire de la paléontologie
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